Plan raisonné d'Education générale et permanente le plus propre à faire la prospérité du Bas-Canada, en égard à ses circonstances actuelles
Par Joseph-François Perreault
[Publié par la Literary and Historical Society of Quebec dans Transactions, Original Series, Volume 2 (1831)]
AYANT VU dans le Star du 15 de Septembre 1830, l'annonce de la Société Littéraire et Historique de Québec, et la promesse "d'une Médaille honoraire d'argent pour le plan raisonné d'éducation générale et permanente, le plus "propre à faire la prospérité du Bas-Canada, eu égard à ses circonstances actuelles," je me suis cru appelé, nommément, à entrer en lice sur cet important objet, qui m'occupe depuis plus de vingt ans, et sur lequel j'ai déjà émis mon opinion.
On peut comparer l'éducation dans ce pays, à une terre qui est à ouvrir et exploiter.
Pour le faire, avec succès, on doit y procéder avec circonspection; de même qu'un bon cultivateur fait le tour de sa terre, en examine le sol dans toute son étendue, pour connaître les endroits propres aux semences qu'il se propose d'y répandre, à la saison la plus propice pour le faire; de même on doit s'enquérir des sites les plus convenables pour ériger des Écoles, des Séminaires, des Collèges, des Universités, &c. convenir de l'instruction que l'on donnera dans chacun de ces établissements; le mode d'enseignement que l'on adoptera; la qualification des maitres et précepteurs que l'on exigera; les recettes et dépenses de ces divers établissements; et enfin la surveillance du tout, eu égard aux circonstances où se trouve actuellement la Province du Bas-Canada, à cause des différentes professions de foi de ses habitants.
J'exposerai succintement ces requisitions, que j'estime essentielles, dans des chapitres distincts et séparés; afin d'établir l'éducation, dans le pays, sur des bases solides, substantielles et permanentes, comme on le demande.
CHAPITRE I.
Des Sites des Établissements d'Éducation.
Il est évident que des Écoles, des Séminaires, des Collèges, des Universités ne peuvent être érigés en même quantité et même dimension, être placés, de proche en proche, les uns comme les autres; le bon sens veut que le tout soit proportionné aux besoins; en conséquence que des écoles élémentaires soient érigées, dans les Paroisses; les Séminaires et les Collèges dans les Comtés, et les Universités dans les chef-lieux des Districts.
La meilleure échelle de proportion pour l'érection d'un tel établissement est, sans doute, la population.
En conséquence il devroit être réglé, qu'il ne sera érigée une école publique d'éducation élémentaire que dans l'endroit le plus central, où se trouveroient au moins quatre cents pères de famille.
Que les Séminaires et Collèges publics ne seraient établis que dans les comtés dont la population donneroit trois mille pères de famille.
Que l'on ne bâtirait d'Universités que dans les villes et cités des districts, contenant au moins six mille pères de famille.
Les écoles élémentaires devraient être érigées sur un terrain, d'aumoins deux arpents de terre en superficie, afin d'y faire cultiver un jardin potager, par les écoliers, et les initier par ce moyen dans la connoissance de ce que l'on appelle la petite culture; tout en apprenant à lire, écrire et compter.
La maison devroit être au moins de trente pieds sur toutes faces, avoir douze à quinze pieds d'élévation entre les deux planchers, avec une porte à deux battants sur le devant, et une allée de sept à huit pieds de large conduisant à l'estrade du maître dans le fond, avec aussi deux fenêtres sur le devant et autant derrière, de sept pieds de haut et à quatre pieds au dessus du plancher de bas; une cheminée dans un des pignons pour recevoir le tuyau d'un poêle; si cet maison est distribuée, comme celle que j'ai bâtie au Fauxbourg St. Louis, elle contiendra deux cents enfants.
Les Séminaires et Collèges dans les Comtés devroient être des édifices à deux étages de cent pieds de long, sur quarante de profondeur et être bâtis sur une terre de quatre vingt à cent arpents; pour, outre les connoissances que l'on donne ordinairement dans ces maisons, y faire un cours théorique et pratique de la grande culture.
Les Universités doivent être bâties, sur quatre faces, comme le Collège des ci-devant Jésuites à Québec; être vastes, pour y avoir des appartements séparés, dans chacun desquels on enseigneroit les hautes Sciences; on feroit les expériences, on placeroit les instruments; on feroit les observations astronomiques, &c. &c. &c.
CHAPITRE II.
De l'Instruction que l'on doit donner dans les Établissements publics d'Éducation
Comme il ne peut y avoir de bonne éducation que celle qui est fondée sur la morale chrétienne, on doit l'enseigner dans tous les établissements d'éducation publique dans le pays; régler ensuite que, dans les écoles élémentaires de paroisses, on y montrera, outre les prières et le catéchisme, à lire, écrire et compter, et de plus, à jardiner; en conséquence que le jardinage se feroit à la fraicheur du matin, depuis huit heures jusqu'à dix, et du soir depuis trois jusqu'à cinq.
Que l'on distribuera les heures d'étude et de travail dans les Séminaires et Collèges des Comtés, de la même manière, autant que faire se pourra, dans le cours de l'année; excepté dans les temps de semence et de récolte où le travail du dehors sera prolongé.
Que ces établissements doivent être fournis des instruments aratoires analogues aux travaux qui doivent s'y faire, ou des matériaux nécessaires pour les faire faire par les élèves; ils doivent être aussi pourvus d'animaux propres à l'exploitation des terres, qui y seront logés, nourris et soignés par les écoliers, afin de les instruire dans l'économie rurale et l'art vétérinaire.
Les Universités doivent être pourvues d'habiles professeurs, dans les différentes branches d'instructions que l'on a coutume de donner dans ces sortes d'établissements, des ingrédients et instruments nécessaires pour les expériences et observations astronomiques; dont l'époque de ces divers cours sera fixée par les Directeurs, ou Superintendans de ces maisons.
CHAPITRE III.
Du mode d'enseignement à adopter.
L'enseignement mutuel, c'est-à-dire: le sistême Lancasterien, étant universellement reconnu être le meilleur, sera celui que vraisemblablement on adoptera; mais comme il y a été fait plusieurs améliorations, il est à désirer que la Société Littéraire dépêche quelques uns de ses membres pour visiter les écoles tenues à Québec d'après ce mode, et dans quelques unes des quelles il a été fait de grandes améliorations, tant dans la quantité d'exercices que l'on y fait pour instruire, que dans la diminution des dépenses pour y parvenir.
Afin de mettre la Société en état de juger des améliorations faites à ce mode d'enseignement, il lui soumet son manuel pratique et l'invite à se transporter à son École Élémentaire Françoise située au Fauxbourg St. Louis, pendant sa tenue.
CHAPITRE IV,
Des qualifications des Maîtres et Précepteurs.
Si l'on veut introduire l'uniformité dans l'éducation à donner à la Jeunesse du pays, il faut non seulement adopter un mode d'enseignement, mais encore former des Précepteurs et des Maîtres qui puissent le propager; pour ce faire il faut les obliger à suivre un cours dans les meilleurs écoles des cités, érigées dans les districts de la Province; ne les point admettre à tenir des écoles publiques, a moins qu'ils ne soient munis de certificats de capacités, de ceux qui sont à la tête de ces écoles.
On ne peut se promettre de l'uniformité dans l'enseignement, ni la certitude d'une bonne éducation que par ce moyen; pour quoi je prends la liberté de le recommander comme une mesure essentielle.
CHAPITRE V.
Des recettes et dépenses des Établissements Éducation
Il sera bon de faire supporter la dépense des établissements d'éducation par les habitants qui les demandent, ainsi que par ceux chez qui il sera jugé à propos d'en ériger; et ce de la même manière qu'ils coopèrent, ou sont forcés de coopérer, pour la bâtisse et réparation de leurs Églises et Presbytères.
Alors on les verra y prendre intérêt et se glorifier d'avoir les plus beaux édifices, les meilleures maitres, la plus grande quantité d'enfants dans ces écoles, &c. &c. &c. comme ils font pour leurs Églises et Presbytères.
Comme les pères de famille sont aussi bien tenus de donner de l'éducation à leurs enfants, que de leur procurer la nourriture et l'entretien, ils doivent non seulement contribuer à l'érection et entretien des bâtiments, mais encor au salaire des Maitres et Précepteurs.
Par ce moyen la Province se trouveroit déchargée d'un fardeau qui tôt ou tard lui sera très-onéreux; se réservant toutefois le droit d'accorder des suppléments et de donner des gratifications aux Maitres, Précepteurs et Professeurs, dans des cas privés; afin d'encourager l'émulation.
CHAPITRE VI.
De la surveillance de tout.
Comme il y a tout lieu de présumer qu'il y aura, un jour à venir, un grand nombre de ces établissements, dans une Province aussi étendue qu'est le Bas-Canada, il est essentiel de les organiser de manière qu'on en puisse suivre le fil et les surveiller.
La division de la Province en Paroisses, Districts et Comtés nous doit naturellement fournir ce moyen d'organisation; on devroit donc dans la principale cité de chaque District former un Bureau central qui auroit la direction et surveillance des établissements d'éducation faits et à faire dans les Paroisses et Comtés et leurs arondissements.
Chacun de ces Bureaux devroit être confié, soit à une seule personne (ce que je préférerois) soit a plusieurs.
On devroit s'adresser à ces personnes pour tout ce qui concerneroit l'érection, l'entretien et la police des établissements d'éducation; la nomination et fixation des salaires des Maitres et Précepteurs; la surveillance et repression des abus; la promulgation des règles et règlements.
C'est aussi à ces personnes que devroient être faits les retours du nombre de ces établissements, dans les Paroisses, Comtés et Villes des Districts, de la quantité d'élèves qu'ils contiennent, de leurs dépenses et recettes.
Chacun de ces Bureaux devroit être tenu de faire le tableau général de son District d'après ces divers retours, le remettre à qui lui seroit ordonné, ou le faire imprimer dans une Gazette, pour l'information publique.
Étant spécialement donné en charge par la Société d'avoir égard aux circonstances actuelles du Canada; et les circonstances où il se trouve, par rapport aux trois professions de foi qui y sont reconnues, demandant des dispositions, qui préviennent les animosités, et donnent à chacune d'elles des suretés qu'elles ne seront point troublées dans les exercices et propagation de leurs croyances respectives, il devroit être formé, outre les Bureaux centrals de Districts, des Bureaux particuliers de membres de chacune de ces professions de foi, qui auroient la direction et superintendance des établissements de ceux de leur croyance seulement, ce séparément de ceux d'une autre croyance; en avoir seuls l'érection, l'entretien et la police; la nomination et fixation des salaires des Maitres et Précepteurs; la réformation des abus; et la promulgation des règles et règlements: dont et du tout ils devront faire rapport au Bureau central de leurs Districts respectifs.
Les Bureaux centrals devroient être autorisés à former des Bureaux particuliers dans les Comtés de leurs Districts respectifs, quand le cas le requérera, ou qu'ils en seront sollicités; à en nommer les membres, à leur donner des règles et à en recevoir les retours des écoles et autres établissements publics et privés de leurs Comtés respectifs.
Comme il y a des sectes de l'Église Anglicanne et Presbytérienne qui désireroient avoir des établissements d'éducations particuliers, pour élever leurs enfants dans leur croyance, ils devront s'adresser au Bureau particulier de Église Anglicanne ou Presbytérienne, dans lequel ils ont plus de confiance, pour être autorisés à les ériger, les entretenir et les surveiller eux mêmes; à en nommer les Maitres et Précepteurs, à leur fixer leur salaire et à leur donner les règles et règlements qu'ils jugeront convenables pour l'enseignement et la police de ces sortes d'établissements.
Il seroit très à propos d'empécher qui que ce soit d'ouvrir des établissements publics, ou privés, d'éducation et enseignement quelconque, à moins que la personne qui se propose de le faire n'obtienne d'un Bureau central, ou particulier, du District où elle veut s'établir, un certificat de bonnes mœurs et de capacité ainsi que la permission de le faire.
Je ne puis terminer l'apperçu de ce que je conçois être le plus propre à propager l'éducation dans le Bas-Canada, eu égard à ses circonstances actuelles, sans suggérer à la Société Littéraire et Historique de Québec, le besoin d'exciter l'émulation des écrivains sur le mode d'enseignement le plus expéditif et le moins dispendieux pour le pays; ainsi que sur la méthode théorique et pratique de la grande et petite culture convenable au Bas-Canada.
Quoi que chacun des chapitres que j'indique soit susceptible d'une plus grande extension, je n'ai pas cru devoir le faire; j'ai préféré le laisser à la pénétration et sagacité des Membres de la Société et me restreindre à ne donner qu'un apperçu des bases, sur lesquels, on devroit, à mon avis, appuyer l'enseignement de l'éducation, dans le pays; pour le rendre solide, substanciel et permanent.
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