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Relation du Siége de Québec en 1759 par une religieuse de l’Hôpital Général

 

Par Marie-Joseph (?) Legardeur

 

[Publié par la Literary and Historical Society of Quebec dans Historical Documents, Series 1, Vol. 2, No. 5 (1840)]

 

 

Mes Très Révérendes Mères,

 

Comme nos Constitutions nous obligent de consulter les Maisons de notre Congrégation sur les difficultés qui pourroient y naître, elles vous doivent donner le même droit, je pense, quand il s'agit de l'édifier. Le récit simple que je vais vous faire de ce qui s'est passé depuis l'année 1755, que les Anglois se sont déterminés à mettre tout en oeuvre pour s'emparer de cette Colonie ; la part que nous y avons eue par les travaux immenses que cela nous a procurés, en seront l'objet. L'incendie que nos Mères de Québec viennent d'essuyer ne leur permettant plus de se charger des malades, M. Bigot, Intendant de ce Pays, nous proposa de les recevoir dans notre Hôpital ; ce que nous acceptâmes avec plaisir, dans le désir de rendre service, et de remplir avec zèle les devoirs de notre vocation. Elles ne tardèrent pas à se mettre en œuvre. Sa Majesté, attentive aux besoins de ses sujets et instruite des préparatifs que faisoit l'Anglois, ne manqua pas d'envoyer au secours de ce pays des vaisseaux en nombre, chargés de munitions et de vivres dont il étoit tout à fait dépourvu, et plusieurs régiments qui composoient de bonnes troupes que l'on débarqua hors d'état de servir, puisque l'on en perdit un grand nombre. Ils étoient infectés de mauvaises fièvres. Ils furent tous apportés, officiers et soldats, dans notre Hopital qui ne fut pas capable de les contenir. Il fallut en remplir les lieux les plus réguliers de notre Maison ; nous fûmes obligées de les mettre jusque dans l'Eglise, avec la permission de feu Mgr. de Pontbriand, notre illustre Prélat, à qui nous devons le témoignage d'un zèle et d'une charité immenses, ayant voulu partager avec les Aumôniers les travaux de leurs fonctions, passant les jours entiers à leur administrer les sacrements, et prodiguant sa vie au milieu de l'infection qu'il ne pouvoit éviter ; ce qui a contribué à altérer sa santé et à abréger des jours que nous aurions souhaité bien longs. Il eut la douleur d'y perdre quatre Aumôniers qu'il assista lui-même, que la contagion et le mauvais air qu'ils respiraient auprès des malades nous enleva en très peu de jours. Sa charité ne fut pas moins grande pour son troupeau chéri. L'accablement où il nous vit, toucha son grand coeur; la perte de dix de nos plus jeunes Religieuses, lui fut sensible ; il les vit cependant mourir avec consolation. Elles demandèrent au Seigneur d'être des victimes capables d'appaiser son courroux ; mais ce n'étoit encore qu'une ébauche du calice qui nous étoit préparé. Cette perte nous mit hors d'état de pouvoir secourir seules tous les endroits qu'occupoient les malades. Le. Saint Evêque nous fit venir dix Religieuses de l'Hotel-Dieu de Québec, qui pleines de l'esprit de leur vocation nous ont édifiées par leur régularité et secourues avec un zèle infatigable, tant de de jour que de nuit, à tous les services qu'il falloit rendre aux malades. Notre reconnaissance n'a fait qu'augmenter pour cette Communauté, et renouveler le désir que nous avons toujours eu de bien vivre avec elle. La pauvreté de notre Maison ne nous a pas permis, à la perte de la leur, de faire pour elles tout ce que nous aurions souhaité; le peu que nous leur avons donné a été d'un grand cœur.

 

Revenons, mes chère Mères, à vous faire un petit détail d'une guerre et avec captivité que nos péchés nous ont attirées. Le Ciel ,jusque au  favorable à nos vœux, nous avoit préservées plusieurs fois la très Sainte Vierge, patrone de ce pays, avoit renversé les chariots de Pharaon et fait passer nos vaisseaux, à la vue de nos ennemis, sans craindre les flots ni la tempête qui n’etoient excités que pour eux; mais notre peu de reconnaissance ne nous a pas mérite la continuation de sa protection. Nous en jouissions encore aux premières attaques que nous ont faites nos ennemis ; partout où ils ont paru, ils ont été battus et repoussés avec

perte considérable des leurs. La prise de……..[1], du fort St. George et de plusieurs autres que nous avons pris sur eux, en sont la preuve. Les victoires que nous avons remportées à la Belle Rivière et à Carillon étoient des plus glorieuses ; nos guerriers revinrent chargés de lauriers ; ils n'en firent peut-être pas l'hommage au Dieu des armées, à qui ils les dévoient : car elles tenoient du miracle ; leur petit nombre, sans le secours du Ciel, n'auroit pu les leur donner si complettes. Pour lors, désespérant de nous vaincre, la honte de reculer leur fit prendre la résolution d'armer une flotte formidable, munie de toute l'artillerie que l'Enfer a inventée pour la destruction du genre humain ;ils arborèrent le pavillon Anglois à la rade de Québec le 24 Mai 1759[2]; nos troupes et nos milices descendirent à la nouvelle de leur arrivée. M M. nos Généraux laissèrent des garnisons dans les postes avancés, que nous avions en grand nombre, au dessus de Montréal, pour empêcher la jonction de leurs armées de terre que l’on disoit en marche par Orange. Nos Généraux ne manquère pas de s'emparer de tous les endroits que ils pouvoient faire des descentes, mais il fut impossible de les garder tous. La maladie que nos troupes avoient essuyée à leur arrivée de l'ancienne France, et les pères que nous avons faites en deux ou trois actions que tous …..tions d’avoir avec eux, quoique vainqueurs, nous avioent …. Perdre bien du monde. Il fallut abandonner la Pointe de Lévi qui donne directement sur Québec. Ils s’en emparèrent et y dressèrent leurs batteries ; ils commencèrent à les faire jouer le 24 Juillet, de façon à faire trembler toutes nos pauvres Communautés de filles.

 

La Révérende Mère de Ste. Hélène, Supérieure des Hospitalières, nous écrivit le même jour, et nous supplia de vouloir bien la recevoir avec toutes ses filles. Quoique nous ne puissions douter que notre Mission s'alloit remplir de tous les blessés du siège, nous reçûmes à bras ouverts nos chères Soeurs de Québec, Les larmes que nous, versâmes et la tendresse que nous leur témoignâmes leur firent voir que nous étions charmées de partager avec elles le peu qui nous restoit. Nous leur donnâmes nos chambres pour les mettre plus à leur aise, et nous nous mimes clans les dortoirs. Nous ne fûmes pas longtemps sans déloger encore. Le lendemain, à six heures du soir, nous vîmes dans nos prairies les Révérendes Mères Ursulines qui vinrent à pied, saisies de frayeur que les bombes et les boulets qui avoient percé en plusieurs endroits leurs murailles, leur avoient donnée ; il fallut trouver place pour trente et quelques filles que nous ne reçûmes avec pas moins de tendresse et d'affection que nous avions reçu nos chères Hospitalières.

 

Pour lors, il fallut chercher à nous loger; on avoit fait monter, à l'arrivée de la flotte ennemie, dans les Villes de Montréal et des Trois-Rivières, toutes les familles de distinction, marchandes et bourgeoises, en état de se soutenir par elles-mêmes, et par là débarrasser la Ville de tout ce qui pourrait lui être à charge pendant le siège. Plusieurs de nos familles et d'autres à qui nous ne pouvions refuser, demandèrent à se retirer chez nous, se trouvant plus à portée de secourir leurs maris et leurs enfants blessés. Il fallut encore trouver place pour eux. Comme notre Maison était hors de la portée de l'artillerie ennemie, le pauvre peuple de Québec ne manqua pas de s'y réfugier ; toutes les dépendances en furent remplies, maison domestique, étable, grange et tout ce qui s'en suit; les greniers même, malgré les fréquentes lessives que nous étions obligées de faire continuellement pour les blessés, étoient pleins de grabats de ces pauvres malheureux.

 

L'unique consolation que nous goûtions étoit celle de voir presque tous les jours, quoique mourant, Mgr. notre Evêque venir nous exhorter et nous encourager à ne nous point relâcher dans nos travaux...on l'avoit engagé à se retirer de sa Capitale, l'Evêché et la Cathédrale étant presque réduits en cendres. Il ne voulut jamais se retirer d'auprès de son troupeau tant qu'il eut l'espérance de le sauver; il se logea chez le Curé de Charlebourg, à une lieue de Québec ; il permit aux Aumôniers, que nous avions en nombre, de dire la Sainte Messe dans notre chœur, l'Eglise étant occupée par les blessés. Tout le peuple des environs, qui n'avoient plus d'autres ressources pour le spirituel, y assistait avec nous, ce qui faisoit que nous avions grande peine à y trouver place aux heures destinées pour l'office. Nous y trouvions (à peine) la facilité pour nous y ranger; c'étoit le seul endroit que nous avions de vuide. Nous eûmes la consolation d'y réciter l'office, tant que dura le siège, les Ursulines d'un côté et les Hospitalières de l'autre, sans que cela préjudiciât aux services qu'il fallait rendre jour et nuit aux malades. Le seul temps de notre repos étoit celui de l'office divin, encore étoit-il bien interrompu par le bruit des bombes et des boulets, toujours dans la crainte que l'ennemi les dirigeât sur notre Maison. Les pots-à-feu et les boulets rouges saisissoient de frayeur celles qui veilloient. Elles avoient la douleur de voir réduire en cendres les maisons de nos citoyens ; il y en eut, dans une seule nuit,à la Basse-Ville, plus de 50 des plus magnifiques. Les voûtes où l'on avoit enfermé les marchandises, et ce que l'on avoit de plus précieux, ne furent point à l'abri du feu. Dans cet affreux incendie, nous n'avions pour nous y opposer que les gémissements et les larmes que nous répandions au pied des autels dans des moments que nos pauvres blessés nous donnoient.

 

Nous avions, avec cela, plus d'un ennemi en tête; la famine, toujours inséparable de la guerre, nous menaçoit de nous réduire aux extrémités. Plus de six cents personnes dans notre Maison et aux environs partageoient avec nous le peu de vivres qu'on nous faisoit passer des magasins du Roi, qui. étoient à la veille d'en manquer pour nos troupes. Au milieu de cette désolation, le Seigneur, qui ne vouloit que nous humilier et nous faire perdre des biens que nous avions peut-être amassés contre son intention, et avec trop d'empressement, travailloit à nous conserver la vie que nous aurions pu perdre par les circonstances dans lesquelles s'est trouvé le pays à son entière réduction.

 

Nos ennemis, instruits de notre triste situation, se contentèrent de battre nos murailles, désespérant de ne nous vaincre qu'à l'extrémité. Comme la rivière étoit l'unique fortification que nous eussions à leur opposer, elle nous étoit aussi un obstacle pour les aller attaquer. Ils furent longtemps sous nos yeux à méditer une descente ; ils résolurent de la faire du côté de Beauport ; notre armée, qui étoit toujours sur les ailes, avertie par une garde avancée, s'y transporta avec l'ardeur naturelle à la nation Françoise de courir au péril sans prévoir les causes qui arrachent la victoire.

 

Nos ennemis, plus lents à la poursuite, ne se pressèrent pas de descendre tout leur monde à la vue de notre armée. On les chassa de nos redoutes, dont ils s'étoient emparés. Ils se trouvèrent accablés, et ne laissèrent sur le champ que morts et blessés ; cette seule action, si elle avoit été ménagée, nous délivrait pour toujours de leurs funestes entreprises. Il ne faut pourtant pas en charger seuls nos Généraux. Les Nations sauvages, souvent nécessaires à notre secours, nous sont préjudiciables dans ces occasions. Leurs cris et leurs défis intimidèrent nos ennemis, qui, au lieu de soutenir la charge à la quelle ils s'étoient exposés, retournèrent précipitamment à leurs vaisseaux et nous laissèrent maîtres du champ de bataille, On fit transporter avec beaucoup de charité leurs blessés à notre Hôpital, malgré la fureur des sauvages qui vouloient leur lever la chevelure suivant leur usage. Notre armée étoit toujours à leur vue. Ils n'osèrent jamais tenter une seconde descente ; la honte de rester dans l'inaction leur fit prendre le parti de brûler nos campagnes. Ils montèrent leurs vaisseaux à la faveur de la sonde, à sept ou huit lieues au dessus de Québec. C'est là qu'ils firent un grand nombre de prisonniers, tant femmes qu'enfants qui s'y étoient réfugiés; c'est là où ils essuyèrent encore le courage et la valeur d'une petite garnison de soldats invalides commandés par un Officier qui n'avoit qu'un bras, que l'on avoit posée pour garder les effets de l'armée. A force de monde qu'ils y perdirent, ils s'en emparèrent mais ils avouèrent qu'il leur avoit coûté cher.

 

Après avoir été près de trois mois à l'ancre, à se morfondre au port, sans oser s'exposer à une seconde attaque, ils prenoient le parti de s'en retourner, n'espérant plus réussir dans leur entreprise; mais le Seigneur, dont les vues sont inpénétrables et toujours justes, ayant résolu dans son conseil de nous livrer, inspira au Général Anglois de faire encore une tentative avant son départ. Il la fit de nuit, par surprise. On devoit, cette même nuit, envoyer des vivres à un corps de troupes qui gardoit un poste sur une hauteur proche de la Ville. Un malheureux déserteur les en instruisit, et leur persuada qu'il leur seroit facile de nous surprendre et de faire passer leurs berges sous le Qui vive de nos François qui dévoient s'y rendre. Ils profitèrent de l'occasion, et la trahison réussit. Ils débarquèrent à la faveur du Qui vive; l'Officier qui commandoit s'apperçut de la surprise, mais trop tard. Il se défendit en brave, avec son peu de monde, et y fut blessé. L'ennemi se trouva par cette entreprise aux portes de Québec. Mr. De Montcalm, Général, s'y transporta à la tête de ses troupes en diligence ; mais—une demi lieue de chemin qu'il fallut faire, donna le temps aux ennemis de faire ranger leur artillerie et de se mettre en état de recevoir les nôtres. Nos premiers bataillons ne se donnèrent pas le temps d'attendre que notre armée fût arrivée et en état de les seconder ; ils donnèrent, à leur ordinaire, avec impétuosité sur l'ennemi qu'ils tuèrent en grand nombre ; mais ils furent bientôt accablés par leur artillerie. Ils perdirent de leur côté leur Général, et grand nombre d'Officiers. Notre perte n'égala par la leur en nombre, mais elle ne fut pas moins douloureuse. Mr. De Montcalm, Général, et ses principaux Officiers y perdirent la vie.[3] Plusieurs Officiers Canadiens, chargés de famille, eurent le même sort. Nous vîmes de nos fenêtres ce massacre. C'est là où la charité triompha et nous fit oublier nos propres intérêts et les risques que nous courions à la vue de l'ennemi ; nous étions au milieu de morts et de mourants que l'on nous amenoit par centaines à la fois, dont plusieurs nous touchoient de très près—il fallut ensevelir notre juste douleur et chercher à les placer. Chargées de trois Communautés et de tous les Faubourgs de Québec que l'approche de l'ennemi avoit fait déserter, jugez de notre embarras et de notre frayeur. L'ennemi, maître de la campagne et à deux pas de notre Maison ; exposées à la fureur du Soldat, nous avions tout à appréhender. Ce fut alors que nous expérimentâmes la vérité de cette parole de l'Ecriture, "que celui qui est sous la garde "du Seigneur n'a rien à craindre." Mais, sans manquer de foi ni d'espérance, la nuit qui approchait redoubla nos inquiétudes. Les trois Communautés, à l'exception de celles qui étaient répandues dans la Maison, se prosternèrent au pied des autels pour implorer la Divine miséricorde — semblables à Moyse, nous ne faisions parler que notre coeur. Le silence et la consternation qui régnoient parmi nous, nous donnèrent lieu d'entendre les coups violents et répétés que l'on donnoit dans nos portes. Deux jeunes Religieuses qui portoient des bouillons aux malades se trouvèrent, sans pouvoir l'éviter, à l'ouverture. La pâleur et l'effroi dont elles furent saisies, touchèrent l'Officier et il empêcha la garde d'entrer ; il ordonna aux trois Supérieures de se présenter ; il sçavoit qu'elles s'étoient retirées chez nous ; il leur dit de nous rassurer toutes, qu'une partie de leur armée alloit investir et se saisir de notre Maison, craignant que la nôtre, qu'il savoit n'être pas loin, ne vînt les forcer dans leurs retranchements ; ce qui n'auroit pas manqué d'arriver ; si nos troupes avoient pu se rejoindre avant la capitulation. Nous vîmes dans un instant leur armée rangée en bataille sous nos fenêtres, et la perte que nous avions faite la veille, nous fit craindre, et avec raison, qu'elle ne décidât de notre malheureux sort—les nôtres n'étant plus en état de se rallier. Mr. De Lévi, second Général des troupes et devenu le premier par la mort de Mr. De Montcalm, étoit parti depuis quelques jours du Camp, et avoit emmené près de 3,000 hommes pour renforcer les garnisons des postes d'en-haut qui étoient harcelés journellement par nos ennemis.

 

La perte que nous venions de faire et l'éloignement de ceux-ci firent prendre le parti à M. le Marquis de Vaudreuil, Gouverneur Général de la Colonie, d'abandonner Québec, qu'il n'étoit plus en état de sauver : les ennemis ayant formé leurs retranchements et dressé leur camp à la principale porte, et leurs vaisseaux fermant l'entrée du côté du port, il étoit impossible d'y porter secours. Mr. De Ramsay, Lieutenant du Roi, qui commandoit avec une foible garnison, sans vivres et sans munitions, y tint ferme jusqu'à l'extrémité.

 

Les Bourgeois lui représentèrent qu'ils avoient sacrifié de grand coeur leurs biens et leurs maisons, mais que pour leurs femmes et leurs enfants, ils ne pouvoient se résoudre à les voir égorger ; l'on étoit à la veille d'être pris d'assaut, il fallut donc se résoudre à capituler.

 

Les Anglois accordèrent sans difficulté les articles que l'on avoit demandés, tant pour la religion que pour l'avantage du citoyen. La joye qu'ils eurent de se voir en possession d'un Pays où ils avoient échoué plus d'une fois pour en faire la conquête, les rendit les plus modérés de tous les vainqueurs. Nous ne pourrions sans injustice nous plaindre de la façon dont ils nous ont traités, et il se pourroit faire que l'espérance de se le conserver y aurait contribué. Quoi qu'il en soit, leur bon traitement n'a point encore tari nos larmes. Nous ne les versons point comme ces bons Hébreux sur les bords du Fleuve de Babylone, puisque nous sommes encore sur la terre promise ; mais nous ne ferons retentir nos Cantiques que quand nous serons purgés du mélange de ces nations, et nos temples rétablis : c'est alors que nous célébrerons, pleines de reconnaissance, la miséricorde du Seigneur.

 

Tout ce qui étoit resté de familles et de personnes de distinction, suivirent l'armée à Montréal après la Capitulation. Mgr. notre saint Evêque fut forcé de prendre ce parti, n'ayant plus où se retirer.

 

Avant son départ, il mit ordre à tout ce qui regardoit son District; il nomma pour Vicaire Général Mr. Briand, un des premiers membres de son Chapitre, et que l'on pouvoit appeler l'homme de la droite de Dieu, et d'un mérite si prouvé et si connu que nos ennemis n'ont pu lui refuser leur approbation, et je puis ajouter leur vénération. Depuis qu'il gouverne une partie du Diocèse, il a sçu maintenir ses droits et ceux de ses Curés, sans jamais trouver d'obstacle de leur part. La Religion n'a rien perdu par sa vigilance et son attention.

 

Il fut encore chargé des trois Communautés de filles, en qualité de Supérieur. Mgr. qui depuis son arrivée dans ce Pays nous avoit toujours protégées, et je pourrois dire, préférées, le chargea plus particulièrement de notre Maison et l'engagea à y fixer sa demeure. Il nous voyoit chargées d'un peuple infini et sans ressources; exposées à tous les dangers ; il ne nous crut en sûreté que sous ses yeux ; il ne se trompa pas. La suite de ma narration vous apprendra tout ce que nous lui devons.

 

La réduction de Québec du 18 Septembre 1759, ne nous rendit pas la tranquillité; elle ne fit qu'augmenter nos travaux. MM. les Généraux Anglois se transportèrent à notre Hôpital pour nous assurer de leur protection, et en même temps nous charger de leurs blessés et autres malades.

 

Quoique notre Maison n'eût rien à craindre au milieu du théâtre de la guerre, par les droits respectifs que les Rois s'étoient imposés à l'égard des Hôpitaux situés hors des villes, ils nous obligèrent à recevoir et loger une garde de trente hommes. Il ne nous restoit plus qu'une petite décharge, au bas de notre choeur dont ils s'emparèrent, que l'on n'avoit pas occupée, parcequ'elle étoit remplie d'effets appartenants aux parents de nos Religieuses. Les soldats s'en saisirent, et prirent à ces pauvres affligés le peu qui leur restoit. Il fallut se charger à leur faire à manger, et leur donner des lits. A chaque garde, ils emportoient bien des couvertures, sans que l'Officier y voulût mettre ordre. Notre plus grand chagrin étoit de les entendre parler pendant la Sainte Messe.

 

Les Communautés qui s'étoient retirées chez nous, prirent le parti de s'en retourner chez elles. Ce ne fut pas sans verser des larmes que se fit ce départ. L'estime, la tendresse, l'union que cela avoit renouvelée, par le long séjour qu'elles avoient fait avec nous, rendit cette séparation des plus sensibles. La Révérende Mère de Sainte Hélène, Supérieure des Hospitalières, touchée de nous voir accablées sous le faix du travail qui augmentoit tous les jours, nous laissa douze de ses chères filles qui restèrent jusqu'à l'automne, et qui nous furent d'un grand secours.

 

La Révérende Mère de la Nativité, Supérieure des Ursulines, nous offrit de nous en laisser plusieurs des siennes, ce que nous aurions accepté, avec reconnaissance, si les ouvrages dont nous les savions surchargées, nous avoient permis sans indiscrétion de les garder. Les soins et les fatigues qu'elles avoient voulu partager avec nous auprès des malades, leur avoient donné, sous un habit d'Ursuline, un cœur d'Hospitalière. Elles eurent, à leur départ, la douleur de laisser deux de leurs chères Soeurs de Choeur qui terminèrent leurs jours dans nos dortoirs, n'étant plus en pouvoir de les mettre mieux. Les incommodités et les maladies qu'elles ont supportées avec une patience édifiante, leur auront mérité, je l'espère, une éternelle récompense. Nous fûmes dans l'obligation de leur donner pour sépulture un petit jardin enfermé dans notre Cloître, étant impossible d'ouvrir notre Choeur. Le départ de ces chères Mères ne laissa rien de vuide, qu'un petit dortoir, où elles étoient bien resserrées. Il fallut y placer les malades Anglois que le Général nous envoya aussitôt qu'il se vit maître.

 

Revenons à nos François. Nos Généraux, ne se trouvant pas en état de revenir prendre sitôt leur revanche, prirent le parti de faire construire un fort à cinq lieues au dessus de Québec, et d'y mettre une garnison capable de s'opposer aux entreprises des ennemis, et les empêcher de pénétrer plus avant; elle n'y demeura pas oisive, il y eut sans cesse des camps volants pour inquiéter l'ennemi. Ils n'étoient pas en sûreté aux portes de Québec. Mr. Murray, Gouverneur de la place, s'y trouva plus d'une fois à la veille de perdre sa liberté ; et sans les faux frères, on ne l'auroit pas manqué. En outre, on leur faisoit souvent des prisonniers, ce qui fit le Gouverneur de si mauvaise humeur, qu'il envoya des soldats brûler et piller nos pauvres habitants.

 

Le désir de reprendre ce pays et d'acquérir de la gloire coûta cher aux citoyens. On ne vit tout l'hyver que combats ; la dureté de la saison ne fit point mettre les armes bas ; partout où paroissoit l'ennemi, on le poursuivoit à toute outrance : ce qui leur fit dire "qu'ils n'avoient jamais vu de nation si attachée et fidèle à leur Prince que les Canadiens."

 

Les Anglois n'avoient pas manqué d'exiger le serment de fidélité pour leur Roi ; mais, malgré cette sorte d'engagement forcé, que nos habitants ne se croyoient pas dans l'obligation de garder, ils se joignoient à nos camps volants, partout où ils en trouvoient l'occasion.

 

Nos François ne faisoient pas moins de dégâts dans nos campagnes ; ils vivoient aux dépens de qui il pouvoit en appartenir. Nous y perdîmes considérablement, à une Seigneurie que nous avions à six lieues au-dessous de Québec. L'Officier qui y commandoit s'empara de tous les bestiaux de notre métairie qui étoient en grand nombre, [4] et des bleds de nos moulins, et cela pour faire vivre sa troupe. Le Munitionnaire ne nous en a pas tenu compte. Malgré cette perte, il falloit soutenir plus de trois cents blessés qui nous étaient venus de la bataille du treize.

 

Les magazins du Roi de France qui étaient au pouvoir des Anglois, ne pouvoient plus rien ; il fallut avoir recours à l'ennemi ; ils nous donnèrent des farines et des hardes ; mais, quelles nourritures pour des pauvres blessés ! nous n'avions ni vin, ni autres rafraîchissements à leur donner ; épuisées depuis longtemps par le grand nombre, il ne nous restoit que la bonne volonté ; mais, cela ne les contentoit pas. Nos Officiers firent représenter au Gouverneur Anglois qu'ils n'avoient pas coutume d'être traités de cette façon à la solde du Roi de France. Le Gouverneur, piqué de ce reproche, rejeta la faute sur nous, et nous obligea de faire un mémoire de tout ce qui étoit nécessaire pour le soulagement de ces Messieurs, qu'il nous a fait, après, payer de nos deniers, [5] Nous espérions que la Cour de France, plus judicieuse, se feroit gloire de nous rembourser amplement tous les faux frais qu'on ne peut éviter en pareille conjoncture. Le désir de rentrer dans nos droits, et de reprendre le pays, nous fit seconder de notre mieux l'idée qu'on en avoit conçue.

 

Comme nous avions à notre Hôpital beaucoup de soldats de la garnison de Québec, et de la bataille qui s'était donnée pour en empêcher la prise, ils nous demandoient en grâce, quand ils se voyoient rétablis, de les laisser sauver pour aller rejoindre l'armée; nous le faisions de grand cœur, et à nos dépens, leur fournissant des vivres et hardes pour les mettre en état de le faire ; ce qui nous attira les reproches et les menaces les plus dures, de la part de l'ennemi, qui nous menaçoit de nous laisser mourir de faim.

 

Comme notre Maison étoit encore pleine de malades, M. le Grand Vicaire, qui veilloit de près à nos intérêts, renvoya un grand nombre d'Aumôniers qui ne pouvoient que nous être à charge, par la cherté et la rareté des vivres. Il se chargea, avec M. de Rigauville, Chanoine du Chapitre de Québec, et Aumônier de notre Maison, Prêtre d'un mérite et d'une vertu distinguée, d'administrer les sacrements aux malades et de veiller jour et nuit auprès des moribonds. Ils avoient encore tous les habitants des environs à confesser et à assister dans le besoin. Ce qui occupoit et affligeoit infiniment M. notre Grand Vicaire, étoit de ne pouvoir remettre la clôture. Nous eûmes alors plus de deux cents Anglois qui occupoient nos salles et nos dortoirs, et autant de François dans notre Communauté et clans nos infirmeries, et nous n'avions pour nous retirer qu'un petit appartement. C'est là où toutes ensemble, abimées dans nos réflexions, nous ne savions que penser. La communication étant interdite, nous ne savions ce qui se passoit dans le pays d'en-haut. Nos ennemis, mieux instruits que nous, nous annonçoient tous les jours l'arrivée de notre armée ; les mesures qu'ils prenoient et les fortifications qu'ils faisoient dans Québec, soutenu d'une garnison nombreuse, nous faisoient craindre pour la réussite. Nous avions de notre côté de faux prophètes, et des femmes qui formoient un siège en peinture, et qui, sans mortiers et sans canons, prenoient la ville d'assaut. Il n'en fallut pas d'avantage pour ranimer ceux qui ne demandoient qu'à combattre.

 

Aussitôt que la saison parut propre à se mettre en campagne, on suivit les glaces, peu muni de vivres, en encore moins d'artillerie propre à former un siège. Nos Généraux ne doutaient point de la valeur de leurs troupes ; mais ils ne se flattoient de réussir qu'à la faveur d'un secours promis de la part de la France ; ce qui n'auroit pas manqué d'arriver, si quelques uns de nos vaisseaux avoient paru à la rade de Québec dans le temps que l'on battoit ses murailles. Quoi qu'il en dût arriver, notre armée se mit en marche; elle arriva près Québec, le 26 Avril. Le 27 fut employé à faire passer le peu de canon que l'on avoit de Montréal. Un canonnier, en voulant monter la côte, tomba sur une glace qui le porta directement vis-à-vis de la maison qu'occupoit le Gouverneur. La voiture extraordinaire de cet envoyé frappa les sentinelles. Ils avertirent ; le Gouverneur ordonna qu'on lui donnât un prompt secours. Il se le fit amener et le questionna. Le pauvre homme saisi et effrayé des risques qu'il venoit de courir, ne fut pas en état de dissimuler ; il dit avec franchise, qu'il étoit un des canonniers de l'armée qui étoit à deux lieues de Québec ; qu'en voulant monter un canon, le pied lui avoit manqué ; que la glace l'avoit emporté et fait dériver malgré lui; jusque là, la marche de l'armée avoit été secrette. Pour le moment, ce secret développé, nous parut de mauvais augure, et dirigé par une puissance à laquelle on ne put s'opposer. Le Gouverneur, instruit par cette voye, ne perdit pas un instant. Il commença par retirer une forte garnison qu'il avoit mise à une lieue de Québec pour s'opposer aux courses des nôtres ; il emporta ses canons et fit sauter l'Eglise de Ste. Foye qui servoit de retraite à sa troupe ; après quoi, il assembla son conseil et fut presque seul d'avis de sortir de la Ville, de s'emparer d'une poste avantageux, d'y dresser des batteries et d'atteidre de pied ferme notre armée. Sa proposition ne fut pas du goût du grand nombre, mais cependant, elle fut exécutée comme il l'avoit projettée.

 

Notre armée, ignorant le trait de providence qui venoit de se passer à l'avantage de l'ennemi, continua sa marche. La nuit du 27 au 28, fut des plus terribles. Le Ciel sembloit vouloir combattre contre nous. Le tonnerre et les éclairs, peu communs dans cette saison, en ce pays, nous annonçoient par avance les coups de foudre auxquels les nôtres alloient être exposés. La pluye qui tombait à seaux, et les chemins impraticables par la fonte des neiges, ne leur permettaient point de marcher en ordre. M. de Bourglamarque, second Général des troupes de terre, se trouva à la vue des ennemis, à la tête des premiers bataillons, et sans avoir eu le temps de les ranger. L'artillerie de l'ennemi ne manqua pas, en les voyant paraître, de faire une décharge qui en mit beaucoup hors de combat. M. de Bourglamarque fut blessé et obligé de se retirer. Le fort de l'armée étoit encore à plus d'une demi-lieue de l'endroit où commença le premier feu. Nos troupes de la Marine et nos Milices, plus au fait des chemins, arrivèrent à temps pour soutenir un régiment qui se faisoit tailler en pièces plutôt que de reculer. Ce fut alors que le combat devint furieux et des plus sanglants. Comme l'Anglois avoit été à même de se choisir le terrain le plus avantageux, il ne le manqua pas. Notre armée en arrivant ne s'attendoit pas à trouver l'ennemi rangé en bataille; elle fut obligée de faire halte, et ne trouvant pas le terrain propre à se déployer, il n'y eut que la première colonne qui fut en pouvoir de combattre. Le choc se donna à quelques pas de Québec, sur une hauteur vis-à-vis de notre Maison. Il ne se tira pas un coup de canon ni de fusil qui ne vînt retentir à nos oreilles. Jugez par là de notre situation; l'intérêt de la nation et celui de nos proches qui étaient du nombre des combattants ; cet état de souffrance ne se peut peindre. M. notre Grand Vicaire (aujourd'hui notre Evêque), qui ne souffroit pas moins que nous, nous exhortoit à soutenir cet assaut avec résignation et soumission aux ordres de Dieu ; après quoi, il alla se renfermer dans l'Eglise, pénétré de la plus vive douleur, où, comme le Grand Prêtre Aaron, il courut au pied des Autels, et où faisant monter l'encens de sa prière jusqu'au trône du Tout-Puissant, il demandoit avec confiance au Dieu de toute miséricorde d'arrêter ses coups et d'épargner le troupeau qu'on venoit de lui confier. Il se leva plein d'espérance, au milieu de l'action, pour se transporter sur le champ de bataille, malgré notre opposition qui n'était pas sans raison ; car il y courut des risques. Ce qui lui fit prendre ce parti étoit, nous disoit-il, qu'il n'y eût pas assez d'Aumôniers pour assister les mourants qu'il croyait être en grand nombre.

 

Mr. de Rigauville, notre Aumônier, plein de zèle, l'y voulut suivre. Il n'étoit pas sans inquiétude; M. son unique frère, et plusieurs de ses proches, étaient dans l'armée. Ils eurent la consolation de voir l'ennemi tourner le dos et prendre la fuite. L'action avoit duré deux heures. La valeur et l'intrépidité du François et du Canadien repoussèrent l'ennemi de la position avantageuse où il se trouvoit. Cependant, on le menoit toujours battant sous le canon de la Ville; nous demeurâmes maîtres du champ de bataille, et de toute leur artillerie, et fîmes quantité de prisonniers. L'ennemi, renfermé là, n'osant plus paroître, nous pouvions bien chanter victoire. Nous l'avions bien gagnée. Mais qu'elle nous coûta cher, et qu'elle fut arrosée de larmes !

 

Mr. De Lévi, aux approches de Québec, avoit assemblé son Conseil. On y met en délibération de faire sauter notre Maison, de crainte qu'elle ne fût une ressource pour l'ennemi ; mais le Seigneur eut pitié de nous et d'eux ; il leur ouvrit les yeux et leur fit voir qu'elle étoit un bien plus grand pour eux. Il prit le parti de nous écrire pour nous signifier de faire partir de chez nous toutes les personnes dont nous étions chargées et qui s'étoient réfugiées chez nous, ne voyant que nous de capables de se charger des blessés du siège qu'il alloit entreprendre ; qu'il nous les recommandoit par avance. Nous ne manquâmes pas de lui répondre que nous allions travailler à vuider notre Maison, à l'exception de deux cents Anglois que nous avions malades, et que nous n'étions pas en pouvoir de renvoyer ; et que du reste, nous étions toujours prêtes à seconder ses intentions, et à rendre tous les services dont nous étions capables.

 

Après le gain de la bataille, il nous envoya un Officier, avec une garde Françoise, sans que cela nous délivrât de l'Angloise. Il fallut encore trouver à la loger. Mais, ce n'étoit là que le prélude de ce qui nous alloit arriver. Il faudrait une autre plume que la mienne pour peindre les horreurs que nous eûmes à voir et à entendre pendant vingt-quatre heures que dura le transport des blessés, les cris des mourants et la douleur des intéressés. Il faut dans ces moments une force au-dessus de la nature pour pouvoir se soutenir sans mourir.

 

Après avoir dressé plus de cinq cents lits que nous avions eus des magasins du Roi, il en restoit encore autant à placer. Nos granges et nos étables étoient remplies de ces pauvres malheureux. Il nous auroit été, aussi, difficile d'en trouver le temps. Nous avions dans nos infirmeries soixante et douze Officiers, dont il en mourut trente trois. On ne voyait que bras et jambes coupés. Pour surcroît d'affliction, le linge nous manqua ; nous fûmes obligées de donner nos draps et nos chemises. Ce n'est point qu'on n'ait pris des précautions pour en apporter de Montréal ; mais, le vaisseau qui l'apportoit fut pris (en se battant et défendant bien) par les Anglois qui le guettoient.

 

Il n'en étoit pas de cette bataille comme de la première; nous ne pouvions espérer de secours des Hospitalières de Québec—les Anglois s'étant emparés de leur Maison, ainsi que de celles des Ursulines et des particuliers, pour loger leurs blessés qui étoient encore en plus grand nombre que nous. Il nous vint encore une vingtaine d'Officiers qu'ils n'eurent point le temps d'enlever, et dont il fallut aussi se charger ; en outre, plusieurs Officiers des leurs nous avoient été envoyés pour les loger.

 

Mes Révérendes Mères, comme je n'ai fait cette Relation qu'en rappelant dans ma mémoire ce qui s'est passé sous nos yeux, et pour vous donner la consolation de voir que nous avons soutenu avec courage et rempli avec édification les devoirs que nous imposait notre vocation, je ne vous ferai point le détail de la reddition entière du Pays; je ne pourrois le faire qu'imparfaitement, et sur le rapport d'autruy; je vous dirai seulement, que le plus grand nombre de nos Canadiens se sont fait ensevelir plutôt que de céder, et que le peu de troupes qui nous restoient, manquant de munitions et de vivres, ne se sont rendues que pour sauver la vie aux femmes et aux enfants exposés au dernier malheur où l'assaut ne manque pas de plonger les villes.

 

Hélà ! M. R. M., il est bien malheureux pour nous que l'ancienne France n'ait pu nous envoyer au printemps quelques Vaisseaux, des vivres et des munitions : nous serions encore sous sa domination. Elle perd un pays immense, un peuple fidèle et attaché à son Roi, perte que nous ne pouvons trop regretter tant pour la Religion que pour la différence des loix auxquelles il faut se soumettre. Nous nous flattions, mais en vain, que la paix nous remettoit dans nos droit, et que le Seigneur nous traiterait en père et ne nous humilierait que pour un temps ; mais son courroux dure encore. Nos péchés sont sans doute montés à leur comble ; ce qui nous fati appréhender que cela soit pour longtemps, c'est que l'esprit de pénitence n'est pas général dans le peuple, et que Dieu y est encore offensé, malgré le désir et l'espérance qu'il conserve de rentrer dans peu sous la domination de ses anciens maîtres.

 

Vous aurez sans doute appris, mes chères Mères, que l'Anglois, touché et lassé de nos poursuites, accorde un Evêque à cette infortunée Colonie ; et leur choix, ainsi que celui des François, est tombé sur un sujet qui a pris naissance dans notre Province de Bretagne : cela ne doit pas vous être indifférent:, puis, le seul mérite d'un homme a fait quelquefois le bonheur et la gloire de sa patrie; je ne vous ferai point le détail du mérite et des vertus de celui qui va faire le nôtre.

 

Le choix que l'on en fait, dans un temps aussi critique, en dit assez. Je dirai seulement, qu'ayant été choisi par feu Mr. De Ponybriand, qui le connoissoit parfaitement, l'ayant toujours eu auprès de lui, il le chargea de la conduite de son Diocèse pendant sa maladie. Il s'en acquitta si dignement qu'à la mort de ce saint Evêque, le Chapitre le nomma Vicaire Général, à la satisfaction des François et de l'Anglois, qui l'ont fait passer l'année dernière à Londres pour le faire sacrer clans quelque Province, et revenir prendre possession de son Diocèse.[6] Joignez donc, mes très Révérendes Mères, vos prières aux nôtres, pour avancer notre retour. Nous nous flattions que son absence ne dureroit que sept à huit mois, et voilà bientôt l'année expirée sans sçavoir le temps que la Providence a destiné pour combler nos vœux et assurer le salut de ce pauvre peuple, qui n'a d'espérance que dans son Evêque, pour le renouvellement et la continuation de ses mystères. Pour nous autres, l'intérêt général, outre que nous en avons un particulier, la perte de ce pays auroit entraîné la nôtre sans sa charité et sa protection qui nous a mérité celle des Anglois. Notre Monastère et nos biens seroient vendus pour payer les dettes que nous ont fait contracter les troupes du Roi de France, et nos créanciers n'ont arrêté leurs poursuites que par ordre du Gouverneur, à qui notre Maison est redevable de subsister encore.

 

Pour Mr. Briand, nous lui devons la gloire d'avoir sçu nous maintenir dans notre clôture ; ce qu'il nous auroit été impossible de faire, s'il n'avoit pourvu par sa charité et par des moyens que la Providence lui fournissoit pour subvenir à notre indigence ; se refusant son nécessaire pour subvenir au nôtre. Nous lui faisons d'autant plus de pitié, qu'il étoit témoin que le dérangement de notre temporel ne venoit pas de notre faute, mais bien de la part de la Cour, femmes et aux enfants exposés au dernier malheur où l'assaut ne manque pas de plonger les villes.

 

Hélà ! M. R. M., il est bien malheureux pour nous que l'ancienne France n'ait pu nous envoyer au printemps quelques Vaisseaux, des vivres et des munitions : nous serions encore sous sa domination. Elle perd un pays immense, un peuple fidèle et attaché à son Roi, perte que nous ne pouvons trop regretter tant pour la Religion que pour la différence des loix auxquelles il faut se soumettre. Nous nous flattions, mais en vain, que la paix nous remettoit dans nos droit, et que le Seigneur nous traiterait en père et ne nous humilierait que pour un temps ; mais son courroux dure encore. Nos péchés sont sans doute montés à leur comble ; ce qui nous fati appréhender que cela soit pour longtemps, c'est que l'esprit de pénitence n'est pas général dans le peuple, et que Dieu y est encore offensé, malgré le désir et l'espérance qu'il conserve de rentrer dans peu sous la domination de ses anciens maîtres.

 

Vous aurez sans doute appris, mes chères Mères, que l'Anglois, touché et lassé de nos poursuites, accorde un Evêque à cette infortunée Colonie ; et leur choix, ainsi que celui des François, est tombé sur un sujet qui a pris naissance dans notre Province de Bretagne : cela ne doit pas vous être indifférent:, puis, le seul mérite d'un homme a fait quelquefois le bonheur et la gloire de sa patrie; je ne vous ferai point le détail du mérite et des vertus de celui qui va faire le nôtre.

 

Le choix que l'on en fait, dans un temps aussi critique, en dit assez. Je dirai seulement, qu'ayant été choisi par feu Mr. De Pontbriand, qui le connoissoit parfaitement, l'ayant toujours eu auprès de lui, il le chargea de la conduite de son Diocèse pendant sa maladie. Il s'en acquitta par laquelle il nous est dû cent vingt mille livres, des avances que nous avons faites pour la nourriture des troupes du Roi de France. Nous ne demandons ni récompenses ni gratification de nos services ; celui pour qui nous avons travaillé saura bien nous récompenser et nous rendre au centuple. On nous menace de nous mettre au taux du public, ce que je ne peux croire, qu'à la vue de la Cour d'Angleterre, qui, témoin des dépenses que nous avons faites, plaide notre cause, la France veuille nous faire un tort si considérable; si cela arrive, nous serons obligées de nous abandonner à la Providence.

 

FIN.

 

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[1] Du Fort de Chouagen probablement.

 

[2] Erreur.—Le 26 Juin 1759, la première Divisiou de l'Escadre Anglaise jeta l'ancre vis-à-vis l'Eglise de St. Laurent, de l'Ile d'Orléans. Le 1er. Juillet suivant, plusieurs Frégates parurent à la vue de Québec; et ce ne fut que le  4 du mème mois, que toute l'Escadre se trouva mouillée à l'entrée du Bassin.

 

[3] Il est question ici du Combat mémorable qui eut lieu sur les Plaines d'Abraham, le 13 Septembre 1759. Voici un état officiel de la perte qu'éprouva l'Armée Anglaise dans cette circonstance:

Officiers, Sous-Officiers, Canonniers et Soldats, tués, 61

Officiers, Sous-Officiers, Tambours, Canonniers et Soldats,blessés, 598

Soldats, manquants, 5

Total, 664

Après la Bataille, plusieurs Officiers de l'Armée Française avouèrent que leur perte s'élevoit à près de 1500 hommes tant en tués et blessés, qu'en prisonniers, dont il y avait près de 300.

 

[4] Nota. Qu'indépendamment de ce que le Sieur Cadet, Munitionnaire, a fait prendre et enlever clans la métarie dont il est parlé ci-dessus, le nommé Grandmaison y a fait prendre et enlever cinq vaches et huit bœufs dont le Munitionnaire ne se seroit pas cru obligé de tenir compte, attendu que le Sieur Grandmaison les a fait prendre pour l'approvisionnement des Sauvages du bas du Fleuve, qu'ils avoient monté, pour venir au secours de Québec.

 

[5] Nota. Rafraîchissements accordés aux Officiers François. Le Gouvernement Britannique les fit fournir, et en répéta le montant sur la Communauté; objet de trois mille livres, dont la Communauté n'a pas seulement eu la distribution, puisque les Officiers François s'en sont emparés, et les ont distribués comme ils l'ont jugé à propos; mais il n'en est pas moins vrai que le Gouvernement Britannique en a exigé le payement.

 

[6] Mgr. Henri Marie Dubreuil de Pontbriand, étant mort à Montréal le 8 Juin 1760, son successeur Mgr. Jean Olivier Briand, passa en Angleterre sur la fin de l'année 1764; et après avoir reçu l'agrément du Roi d'Angleterre, obtint ses Bulles du Pape Clément XIII, datées du 21 Janvier 1766, et fut sacré le 16 Mars de la même année, à Paris, dans la Chapelle de Sainte Marie de Merry. Il repassa ensuite en Angleterre, et arriva à Québec le 28 Juin 1766.

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