Considérations sur l'état présent du Canada, vers 1758
Auteur inconnu
[Publié par la Literary and Historical Society of Quebec dans Historical Documents, Series 1, Vol. 2, No. 1 (1840)]
Ce Mémoire qui est écrit avec beaucoup de force et de talent, et avec une rare précision, fait une revue générale de toutes les affaires de a Colonie telles qu'elles paraissent avoir existé pendant une longue suite d'années : il est donc à regretter que l'auteur ne soit pas connu. Comme toutes les autorités de la Colonie y sont blâmées, il n'est pas vraisemblable que ce document ait été rédigé par M. Bigot qui étoit à cette époque (en 1758) Intendant du Canada et qui d'ailleurs fut impliqué avec une foules d'autres fonctionnaires publics pour des faits de concussions et d'autres malversations dans l'exercice de leurs charges respectives.
La première note qu'on lit en marge du manuscrit : "Ce Mémoire m'a été remis par M. de Beauvart," fait bien conjecturer que cette note est un apostille de la main de M. Berryer qui, à cette époque, étoit Ministre de la Marine et des Colonies sous Louis XV ; mais quant à M. de Beauvart, qui, au premier abord, pourroit être considéré comme celui qui auroit rédigé ce mémoire ce nom paroît être étranger et inconnu en Canada.
Dans le volume précédent que la Société a fait publier en 1838, on voit à la page 190, que vers l'époque où le Mémoire actuel a été rédigé, il y avoit en Canada un M. Querdisien Trémais, que M. de Berryer y avoit envoyé comme Commissaire, uniquement pour le détail de la Finance; mais on y ajoute: "Qu'il étoit extrêmement curieux, et faisoit, sur tout, des remarques et des observations judicieuses, et qu'il étoit l'unique homme de plume qui aimât sincèrement sa patrie ; en outre qu'il avoit des ordres secrets du Ministre, de prendre connaissance de tout, et de l'en informer."
Faute d'autres éclaircissements on seront donc porté à croire, que ce pourroit être ce M. Querdisien Trémais qui auroit rédigé ce Document.
Le Canada jusqu'à présent a été, pour ainsy dire, ignoré, abandonné exclusivement à un petit nombre de gens que la grande distance où ils sont du pouvoir souverain rend despotiques, qui n'ont perché qu'à exprimer d'une terre nouvelle des fortunes rapides dont ils dévoient jouir en Europe, et qui avoient interest à ce que les nuages qui les couvraient ne fussent jamais dissippés. Ce pays se trouve épuisé presque avant d'être connu ; son gouvernement est mauvais, ou pour mieux dire, il n'y en a point ; on y vit au jour la journée; aucune loi qui concerne la population, l'agriculture, qui fasse dépendre le commerce de ses vrais principes, qui attache les citoyens à une patrie naissante, qui rende cette Colonie utile à sa.métropole, qui l'empêche même de lui être à charge; en un mot, c'est le pays des abus, de l'ignorance, des préjugés, de tout ce qui est monstre en politique ; c'est le plus beau champ pour les soins, les lumières, le zèle d'un législateur habile; il y faudrait un code entier de lois de toutes espèces. Mais les lois publiées, établies, mises en vigueur, demandent un temps tranquille et l’ombre de la paix. Il faut, dans la violence de la guerre, tolérer des maux qu'on ne peut empêcher ; prendre des mesures promptes et par conséquent contraires quelques fois aux règles ; tirer parti des abus mêmes, et des vices des hommes.
Aussi ne veut-on dans ce mémoire qu'exposer l'état actuel de la Colonie par rapport au nombre d'hommes, aux productions de la terre, aux principales branches de son commerce, à sa dépendance de la France, aux dépenses que le Roy y fait, aux revenus qu'il en tire, à la construction des vaisseaux qui y est établie, à la monnoye qui y a cours, etc. C'est un tableau des abus, et non un corps de réglemens. Si cependant l'on y propose quelques idées de réforme, ce sont des idées qui ont paru nécessaires et de facile exécution, même dans un temps de crise.
Le Canada n'est pas à beaucoup près aussi peuplé qu'il devroit l'être. Je ne pense pas que dans tout ce vaste pays possédé par la France, dans l'Amérique Septentrionale, il y ait plus de 80,000 âmes, et. dans ce nombre, 15,000 en état de porter les armes ; encore ces mêmes hommes qu'il faut envoyer à la guerre ont-ils à-supporter tous les travaux de la campagne ; les bateaux à conduire dans tous les voyages; la traite à faire dans tous les postes, et ce dernier article occupe au moins 4 000 hommes chaque année. D'ailleurs, depuis dix ans que la guerre dure icy, la jeunesse y est affoiblie par la fatigue des marches et des navigations continuelles. L'ardeur de défendre son pays lui donne, à la vérité, un zèle qui double ses forces ; mais enfin ces forces s'épuisent ; ces hommes sans cesse dans les efforts et la tension, s'usent comme une arme dont on se sert toujours, et la postérité se ressent de l'épuisement de sa jeunesse.
Je sais que lorsqu'un état se trouve dépeuplé par des accidens particuliers, il y a des ressources simples et faciles; mais je sais aussy que lorsque ces accidents particuliers qui occasionnent la dépopulation, proviennent de longue main d'un vice intérieur, et d'un mauvais gouvernement, le mal est incurable, à moins qu'on ne change la forme de ce gouvernement. Cet article doit être un des principaux du Code à faire, en temps de paix, pour cette Colonie. La seule attention à avoir dans le moment présent, c'est d’être très sobre sur l'employ des hommes; d'éviter surtout les mouvements inutiles, et pour ainsi dire les faux frais de fatigues ; de régler les commandemens des miliciens avec égalité, justice et intelligence ; de ne point faire marcher les enfans comme je l'ay vu pratiquer; enfin, de disposer, autant que les circonstances et l’ennemi le permettront, les expéditions de guerre pour le temps où la terre n'exige point la présence des habitans.
Quant à la dépopulation il s'y joint un mauvaise police sur la culture des terres et sur les grains, la disette doit bientôt se faire sentir ; et si le pays est alors dans un état pire que celui dans lequel se trouve un vaisseau en pleine mer, qui manque de vivres, mais qui du moins a la ressource d'un autre vaisseau qu'il peut rencontrer, ou d'un bon vent qui le peut conduire à quelque terre habitée, ce pays sera réduit à la dernière extrémité.
C'est le tableau que nous a présenté cet hyver Québec, mourant de faim : l'habitant qui ne vit que du travail de chaque journée, forcé de perdre des jours entiers pour attendre à la porte d'un boulanger un pain qu'il n'avoit pas toujours ; les grains manquant pour les semences ; le passage fermé par presque tous les élémens aux secours de l'Europe ; l'ennemi instruit de cette position critique et en état d'en profiter s'il l'eût osé ou voulu ; les opérations retardées et par conséquent mises au hasard d'être manquées ; la main-d'oeuvre augmentée, et par une suite nécessaire les dépenses du Roy, c'est-à-dire, les moyens de concussion de monopole et de rapine, devenus on abysme sans fond. Il est vrai que les vivres ont été donnés à l'entreprise à un munitionnaire général; mais ce munitionnaire ne fait que prêter son nom aux mêmes gens dont l'ignorance et l’avidité ont occassionné le mal, et cette administration nouvelle qui, dans d'autres mains, d'autres temps et d'autres lieux, eût pu Revenir un remède, n'est qu'une forme nouvelle de piller et de s'enrichir qu'ont prise les concussionnaires.
Mais, dira-t-on, non seulement le Canada fournissoit autrefois a la subsistance de ses habitans, il en sortoit encore, en 1749, des partis considérables de farines pour Louisbourg, et pour les Isles on peut donner pour remède l'ordre de balancer avec adresse et modération cette autorité par celle qui réside ez (dans les) personnes envoyées par Sa Majesté pour le Gouvernement: ce qui a desjà esté pratiqué ; de permettre de renvoyer un ou deux Ecclésiastiques de ceux qui reconnoissent moins cette autorité temporelle, et qui troublent le plus par leur conduite le repos de la Colonie, et introduire quatre Ecclésiastiques entre les séculiers ou les réguliers, les faisant bien autoriser pour l'administration des sacremens, sans qu'ils puissent estre inquiétez : autrement ils deviendraient inutiles au pays, parce que s'ils ne se conformoient pas à la pratique de ceux qui y sont aujourd'huy, M. l'Evesque leur défendrait d'administrer les sacremens.
Pour estre mieux informé de cette conduite des consciences, on peut entendre Monsieur Dubois, Aumosnier du régiment de Carignan, qui a ouy plusiurs Confessions en secret, et à la desrobée, et Monsieur de Bretonvilliers sur ce qu'il a appris par les Ecclésiastiques de son Séminaire estably à Mont-Réal.
Outre ces Ecclésiastiques dont il est parlé, il y a onze Prestres du Séminaire de St. Sulpice establis à Mont-Réal, et qui s'employent à y desservir la Cure principale avec les habitations adjacentes, du spirituel desquelles ils prennent soin, de mesme que de l'instruction des Sauvages vers lesquels ils ont commencé d'envoyer en missions, et de la jeunesse françoise.
Comme ces Ecclésiastiques ne sont à charge ni au Roy, ni au pays, à cause du bien qu'ils taransportent en Canada, et que d'ailleurs ils ne causent pas aux colons la peine d'eprit qu'ils ressentent par la conduite des autres, j'estime qu'il seroit bon d'inviter M. de Bretonvilliers à y en faire (passer) tous les ans quelques-uns. Ces Ecclésiastiques subsistent de leur revenu ; les Pères Jésuites, tant du leur, que des aumosnes envoyées de France, et de cinq mille livres de pension annuelle qu'on prend sur le fonds du pays pour soutenir leurs missions étrangères.
Le Séminaire de Monsieur l'Evesque subsiste tant de son revenu, consistant ez (dans ses) Seigneuries de l'Isle d'Orléans et Beaupré, que de deux mille livres de pension annuelle sur le fonds du pays, outre mille livres pour l'entretenement de la Paroisse, prises sur le mesme fonds des dixmes qu'on a commencé d'establir pour elle, et de la gratification du Roy.
Outre ce nombre d'Ecclésiastiques, il y a trois maisons de Religieuses dans Québec : celle des Ursulines est composée de vingt-trois Religieuses qui s'appliquent à l'instruction des jeunes filles, et subsistent tant de leur fondation que de cinq cents livres de pension annuelle que le fonds du pays fournit, et principalement de leur œconomie. Ces Religieuses sont utiles.
Plus utiles encore les Religieuses Hospitalières de l'Ordre de St. Augustin, établies à Québec, qui travaillent avec beaucoup de zèle et de charité à nourrir, panser et guérir les malades et blessés qui leur sont envoyez de tous les endroits du pays.
Mont-Réal a son Hospital, desservy par cinq Religieuses de mesme zèle et charité que les précédentes, qui assistent utilement la Colonie.
Toutes ces maisons de charité ont besoin qu'on leur en fasse, plus l'Hospital de Québec que les autres.
Si le Roy leur accorde cette année, par forme d'aumosne, quelque gratification, et permette que dans les vaisseaux qui seront par lui envoyez au Canada, elles puissent faire porter dix ou douze tonneaux de denrées à leur usage, et à celui des pauvres, sans payer, elles s'en sentiroient bien obligées.
LA NOBLESSE
N'est composée que de quatre anciens Nobles, et de quatre autres Chefs de familles que le Roy a honorés de ses Lettres l'année dernière.
Outre ce nombre, il peut y avoir encore quelques Nobles entre les officiers qui se sont établis dans le pays. Comme ce petit Corps est trop peu considérable pour bien soutenir, ainsi qu'il est naturel peut-être une partie des marchandises qu'elle tire de France; la main-d'oeuvre diminuèrent, et avec elle les dépenses que le Roy est obligé de faire. Tels paroissent être en gros les avantages d'un Bureau et d'un Magazin d'Abondance, entre les mains du Roy. Si le ministre le juge à propos, on donnera tous les détails relatifs à cet établissement: il suffit de l'avoir indiqué ici.
La Population et l'Agriculture sont, sans doute, les deux premiers objets qui doivent occuper. Le Commerce ne vient qu'après; il en est une suite ; il en dépend, il en tire ses principes, son origine, son accroissement, ses progrès.
Le Commerce est en Canada divisé en deux branches principales: articles de nécessité premiere; articles de luxe, et, pour ainsi dire, de nécessité seconde.
A l'égard du premier objet, le Canada pourroit à la rigueur se passer de toutes les marchandises et denrées de nécessité première qu'on y apporte annuellement d'Europe et des Isles de l'Amérique. Il y a des mines de fer et de plomb; une forge est maintenant établie aux environs des Trois-Rivières ; on recueille dans toutes les parties de ce continent des grains de toute espèce : des légumes, du chanvre; on y élève des boeufs, des moutons, des cochons et des volailles. Le fleuve Saint-Laurent, les lacs, toutes les petites rivières abondent en poissons ; on n'y a point encore découvert des mines de charbon de terre; il y en a toutefois à Louisbourg, dont on ne se sert en Canada que pour les Forges du Roy. Je ne say pas pourquoy l'on y en a négligé l'usage ; le pays à la vérité est tout entier une forêt: mais il n'y a sur cet article aucune police, et la corde de bois est aujourd'hui, à Québec et à Montréal, proportionnellement plus chère qu'à Paris : bientôt même on sera embarrassé pour en fournir ces deux villes. Quelques réglemens simples préviendroient cette disette, et certainement on trouveroit dans le sein du pays, et à portée des villes, des mines de charbon de terre. Cependant, quoique la nature ait pourvu le Canada de tout ce qu'exigent la subsistance et l'entretien des habitants, on y apporte non seulement des marchandises de toute espèce manufacturées en Europe, mais encore des articles que le pays produit : le Fer, le Plomb, les Farines et le Fard, sont aujourd'hui des objets pour les cargaisons.
Cette importation peut former, année commune, une somme de huit millions de vente en Canada.
Pour en faire les retours, il en sort en Castors, Pelleteries, Peaux vertes, Huile de Loup-Marin et de Marsouin, en Morues, Saumons, Anguilles, en Planches, Chevrons et autres bois, pour environ deux millions et demi: exportation qui, comme on le voit, est suffisante pour le retour de l'importation, mais à laquelle suppléent les dépenses que le Roy fait dans la Colonie. Lorsque ces dépenses ne sont pas assez considérables pour la balance du commerce, il reste proportionnellement une quantité de marchandises invendues dans les magasins des négocians, ou une somme de crédits faits pour les vendre.
Pendant la guerre, il se consomme moins de certains articles de l'importation, à cause de l'augmentation du prix ; augmentation qui n'est pas toujours déterminée par la cherté du fret et de la prime d'assurance, mais par la quantité de chaque article qui arrive dans la Colonie, et, surtout, par le tarif que veut y mettre la grande société. C'est ainsi qu'on nomme une société qui absorbe tout le Commerce du Canada. En même temps que le prix des articles de l'importation augmente, celui des pelleteries et des autres objets de l'exportation diminue, et par conséquent il n'y a plus de poids dans un des côtés de la balance. Les dépenses extraordinaires que le Roy fait alors, et dont une partie est indispensable, viennent encore au secours de ce défaut de l’exportation ; d’ou il suit qu’en paix, comme en guerre, les dépenses que le Roy fait en Canada sont nécessaires au commerce de ce pays, de la façon dont il st aujourd'hui gouverné.
Cette dépendance si onéreuse au Roy, c'est-à-dire à la Nation, si gênante pour le commerce dont elle étouffe la liberté, qui en est l'âme, est-elle donc une nécessité absolue ?
Non, sans doute. Si l'on veut établir ici les réglemens et les lois qui fleurissent avec tant de succès chez nos voisins, assez d'objets s'offrent d'eux-mêmes au commerce qui rendraient l'exportation en Canada beaucoup supérieure à l'importation, et qui délivreraient cette Colonie, et même la métropole, du tribut qu'elles payent, l'une et l'autre, aux étrangers, pour un grand nombre d'articles qu'elles en tirent.
Je dirais bien, en preuve de ma proposition, qu'on peut établir ici de nouvelles pêches de Loup-Marin, de Marsouins, de Baleines, de Morues, de Saumons et d'Anguilles ; y cultiver du Tabac aussi bon que celui de la Virginie ; y faire fondre des Canons, dont le transport en France ne seroit pas coûteux, attendu qu'il n'y a pas assez d'articles pour le chargement des Navires qui retournent en Europe ; en tirer des Mâtures, des Bois de Construction, de Charpente et de Menuiserie, du Merrain, du Chanvre, du Godron, des Plantes et des Racines nécessaires à la teinture et à la médecine. Mais ces vues, aujourd'hui, ne seraient que des spéculations chimériques. Les hommes manquent ; les choses de première nécessité manquent la main-d'oeuvre est extraordinairement chère : le simple journalier gagne jusqu'à trois francs par jour, pour ranger du bois, ou pour charrier de la neige. Attendons des tems plus tranquilles, pendant lesquels l'on puisse et l'on veuille remédier aux principes mêmes, et contentons-nous jusques-la d’exposer dans ce mémoire les branches de commerce à présent établies, et qui, même dans l'état actuel, peuvent s'améliorer.
Je commencerai par faire mention d'un objet qui m'a frappé cet hyver. J'ai vu et examiné un flocon de laine du pays, qui me parut, ainsi qu'à des négociants éclairés, très bonne et d'une qualité presqu'aussi belle que celle d'Espagne. Je désirerais qu'on pût élever en Canada assez de moutons pour recueillir beaucoup de laine. Une mauvaise pratique suivie par les habitans s'oppose à cette propagation de la nature semble, toutefois, avoir voulu favoriser dans ce pays plus qu'en aucun autre, puisque les brebis y portent communément deux agneaux avec le bélier, un grand nombre mettent bas dans le mois de Février, tems auquel la terre est couverte de neige ; il faut donc nourrir les agneaux clans une érable avec du foin et de l'avoine ; il en périt la plus grande partie, et d'ailleurs la cherté de cette nourriture dégoûte les habitans d'en élever.
Un règlement qui ordonnerait de séparer le bélier dans le mois de Septembre, et de ne le laisser approcher les brebis qu'en Février, entreroit dans la nature. Les agneaux nés en May, tems auquel la neige a fait place à la verdure, s'élèveroient sans peine et sans frais; il en périroit peu, et le Canada fournirait beaucoup de laine.
Les habitans employent cette laine à faire des matelats ; ils en filent aussy des bas, et des grosses étoffes à leur usage ; on feroit venir des laines pour matelats, des bas et des grosses étoffes qu'on leur donneroit à bon marché, et les laines du pays nécessaires dans nos fabriques pourraient former, en peu de tems, un commerce considérable, et d'autant plus utile à l'état qu'il en diminuerait la quantité de celles que nous tirons de l'étranger ; d'ailleurs la chair de mouton seroit une ressource pour la nourriture des hommes qui, ne trouvant pas toujours de boeuf chez le boucher, mangent des chapons et des dindes en hiver; cause qui, jointe à plusieurs autres, rend la main-d'oeuvre si chère. Il ne faudrait pas pour cela négliger d'élever des boeufs : ce qui ne pourrait se consommer seroit salé et envoyé aux Isles de l'Amérique, où il en passe beaucoup de celui d'Irlande. J'ai parlé d'abord de cet article de laines, parce qu'il tient en quelque façon à la culture des terres ; passons à un autre qui occupoit seul quand on fit la découverte de ce pays.
La traite avec les Sauvages, objet essentiel au commerce de ce pays, mais plus essentiel encore pour la sûreté de nos possessions et le succès des vues politiques que nous pouvons avoir, est un des objets sur lesquels il y a plus d'abus à corriger.
Presque tous les Posies de la Traite sont privilégiés : c'est-à-dire que ceux qui les obtiennent y font la traite exclusivement. Ces postes se donnent, se vendent, ou s'afferment, et dans ces trois cas le commerce souffre également de leur régie; ceux qui les ont soit en payant, soit à ferme, les ont communément pour trois ans ; ils veulent dans ce court espace une fortune rapide et considérable ; le moyen qu'ils employent pour y réussir est, de vendre, le plus cher possible, les marchandises qu'ils y portent, et d'acheter les pelleteries au plus bas prix possible, dussent-ils tromper les sauvages après les avoir enivrés. En 1754, on avoit, dans le Poste de la Mer d'Ouest, une peau de Castor pour quatre grains de poivre, et on a retiré jusqu'à huit cents francs d'une livre de vermillon ! Dans ce même tems, les marchandises ne valoient pas plus au Détroit qu'à Montréal, parce que cette partie étoit libre et que les voyageurs y alloient par congé.
On appelle Congé, la permission que le Général donne aux voyageurs d’aller avec un canot d’écorce faire la traite dans les postes qui ne sont pas privilégies ; ces congés se payent cinq cents francs, et cet argent sert à soulager les veuves et les familles des officiers. Qu'on me permette à cet égard quelques réflexions.
En premier lieu, l'on sait que tous les privilégiés exclusifs sont destructeurs du commerce, lors surtout qu’ils sont établis a portée de voisins aussi habiles que les Anglois, lesquels ont sans cesse les yeux ouverts, pour tirer parti de nos fautes ; ils n'ont que trop profité d'une concurrence que nous semblons leur rendre, à dessein, si avantageuse. En effet, il faudroit que les Sauvages fussent autan aveugles qu'ils sont éclairés sur leur intérêt, pour ne pas préférer de traiter avec un peuple qui leur achète leurs pelleteries fort cher, et leur donne des marchandises à bas prix, qu'avec nous qui pratiquons exactement le contraire.
Tous les présens que le Roy leur fait, en supposant même qu'ils leur fussent effectivement donnés, que certaines gens ne les vendissent pas à leur profit, ne peuvent les dédommager de ce désavantage évident de leur commerce avec nous, dans les postes privilégiés ; aussy ceux même qui nous sont les plus attachés, ont-ils vu avec douleur détruire le Fort Chouegen, l'entrepôt principal de la traite angloise pour le pays d'en haut.
En deuxième lieu, outre l'intérêt du commerce qui gémit de ces entraves, dans lesquelles on le resserre, on connoît aujourd'hui, mieux que jamais, combien l'affection des Sauvages est nécessaire à la conservation de la Colonie. Peut-on se flatter que cette affection durera toujours, et qu'enfin elle ne passera pas à un voisin avec lequel ils ne trouvent que des avantages? Déjà ils murmurent hautement de ce monopole exercé contre eux ; ils méprisent et laissent des négocians avides qui ne cherchent qu'à leur en imposer. Je vais plus loin : ces mêmes marchands qui traitent avec eux d'une façon si basse sont des officiers dépositaires de l'authorité du Roy, dont ils abusent pour faire des gains illicites et honteux ; ils sont les ministres de ce grand Ononthio, que les Sauvages appellent leur père, et qu'ils ne devraient connoître que par ses bienfaits. Que peuvent-ils penser en voyant l'usage qu'on fait de son authorité et de son nom? Cependant il seroit essentiel qu'à l'idée qu'ils se forment de lui, dans l'éloignement où ils sont, il ne se joignît que des idées de grandeur et de majesté.
Présentement, on voit le mal ; indiquons-en le remède.
Je voudrais que tous les postes fussent exploités par le commerce; qu'une Chambre de Commerce tariffât toutes les marchandises de traite, et qu'on n'y allât que par congé, et que le Général, de concert avec la chambre de commerce, n'accordât des congés pour chacun, qu'autant qu'il en faudrait pour y rendre le commerce .facile, et pour que les voyageurs y trouvent un honnête profit, proportionné au risque et à la peine ; que les Sauvages fissent aussy la traite à un échange raisonnable : toutefois, il faudrait que le Général, en accordant dix congés, par exemple, ne les donnât pas à dix associés, ou à un seul entrepreneur qui les prendroit sous des /bonis empruntés ; sans cela, ce seroit, sous une autre forme, l'inconvénient actuel, puisque cette société, ou cet entrepreneur, feroit le commerce exclusif du poste; dans ceux qui exigent la résidence d'un officier[1] on auroit attention à n'y envoyer que des gens capables et dont on connût surtout le désintéressement. Je voudrais que leurs services, pénibles sans doute, fussent récompensés par de fortes gratifications que l'on prendroit sur le prix des congés ;.mais que tout espèce de commerce direct ou indirect leur fût sévèrement interdit: ils seroient chargés de tenir le bon ordre parmi les voyageurs; de veiller à ce que la bonne foi régnât dans la traite; d'empêcher l'abus de l'eau-de-vie, et de présenter au nom du Roy les présens destinés aux Sauvages. Ce nouveau système pour l'exploitation des postes de la traite, demande un mémoire particulier et détaillé, dans lequel entreroit nécessairement des réflexions sur l'état militaire, tel qu'il est aujourd'hui en Canada, et sur le moyen de le former tel qu'il devrait être.
Au reste, quand je propose icy d'abolir ces privilèges exclusifs établis par la traite avec les Sauvages, je ne prétends pas y comprendre celui qui a été accordé à la Compagnie des Indes, pour la traite du Castor ; privilège qui est, dit-on, avantageux à la Colonie, sans nuire au commerce en général ; elle prétend le prouver par les raisons suivantes, que le commerce ne trouve cependant pas décisives.
1°- La Compagnie des Indes ne fait passer annuellement en Canada qu'environ 1200 pièces de drap, qu'elle tire d'Angleterre et 30 à 40 milliers de poudre; aucun négociant[2] ne trafique de ces deux articles, quoiqu'ils soient essentiels et nécessaires, même dans tous les postes, et la compagnie les donne à bas prix aux voyageurs et aux équipeurs pour le terme d'une année.
2°- Les Castors portés aux bureaux de la compagnie à Montréal, £À à Ouébec, y sont payés à un prix raisonnable[3], en récépissés ou reçus et les récépissés forment une autre monnoye qui a cours dans le commerce. Les agens de la compagnie délivrent pour leur valeur, sur le caissier de la compagnie à Paris, des lettres de «change payables en Janvier, Février, Mars et Avril de l'année suivante.
3°- La Compagnie des Indes a toujours dans ses magazins, à Paris, pour une somme considérable de castors invendus.
Les négociants du Canada, comme tous les autres, ont besoin de faire circuler leurs fonds ; ils ne pourraient donner[4] les draps et les poudres à si bas prix que la Compagnie des Indes pour le terme d'un an, ny laisser en France des fonds inutiles en castors invendus; les marchandises de retour pour la traite seroient nécessairement fort chères, et la contrebande augmenteroit en proportion ; on peu en juger puisque, malgré la facilité que la compagnie donne aux voyageurs, il y en a toujours qui portent des castors aux Anglois[5] pour en avoir des draps; commerce d'autant plus dangeureux qu'il introduit dans la Colonie des mousselines, des callemandes, et des indiennes angloises, dont l'usage nuit à la consommation des marchandises manufacturées en France. Enfin, de tous les articles de l'exportation du Canada, le plus utile à l'état est celui du castor, parce qu'il donne plus de main-d’œuvre qu’aucun autre, et qu’il est nécessaire dans nos fabriques. J'observerai que s'il augmentait à un certain point, les Anglois seroient forcés de venir prendre des chapeaux chez nous, et qu'il augmentent infailliblement si la Compagnie des Indes payoit le castor aussi cher que les Anglois le payent, et s’il n'y avoit point des postes privilégiés.
C'est ici le lieu de dire qu'il eût peut-être été à souhaiter que la Compagnie des Indes eût eu le commerc du Gin-sing (Ginseng). On n'en fait usage qu'à la Chine, où la compagnie seule a le privilège d'envoyer des vaisseaux. Autrefois, ce commerce étoit presque inconnu en Europe; les Chinois tiroient le Gin-sing de la Tartarie; ce n'est que depuis quelques années qu'on l'a découvert en Canada. Dans le commencement il ne valoit que trente à quarante sols la livre séché et trié, et la compagnie, ne regardant point cet objet, permis aux officiers et supercagues de ses vaisseaux de le porter à lai Chine, en pacotille; mais, en 1751, s'étant apperçue que le commerce du Gin-sing devenoit considérable, elle défendit aux officiers et supercargues de ses vaisseaux d'en charger. Il valoit alors douze francs en Canada, et la compagnie l'acheta jusqu'à trente-trois francs, la livre. A la Rochelle, alors, les négocians de cette place donnèrent ordre à leurs correspondans à Québec d'en acheter à tout prix on en fit chercher partout, sans avoir égard à la saison de le cueillir, et au tems de sécher à propos: on le mettoit, au sortir de la terre, dans des fours, ou à côté des poêles ; ce Gin-sing ainsi cueilli à contre-tems et mal séché, valut jusqu'à vingt-cinq francs la livre à Québec, et il en sortit, en 1752, pour environ 500,000 francs. Dans ce même tems la Compagnie des Indes, qui pouvoit se rendre ce commerce exclusif, ne voulut point en demander le privilège ; elle se contenta de ne point acheter des particuliers le Gin-sing mal conditionné, et de prendre des mesures pour en faire cueillir dans la saison convenable, et le faire sécher à propos gardant à Montréal une année entière. Le parti considérable qui avoit passé à la Rochelle, resta invendu. A force de sollicitations la Compagnie des Indes en a acheté une partie; une autre a passé en Hollande, en Angleterre et en Espagne, et ce qui en reste à la Rochelle tombera en pure perte. Il est arrivé de la que malgré les défenses de la compagnie on en a chargé en contrebande dans ses vaisseaux, qu'il en est parvenu à la Chine par la voye de l'étranger, et que la quantité et la mauvaise qualité de ce Gin-sing y a décrié totalement le Gin-sing du Canada. La Compagnie des Indes vient de donner ordre de cesser d'en faire cueillir.
Le Gin-sing est plus ou moins bon, suivant la qualité du terrain et le tems qu'il y a qu'il est en terre ; mais tout le monde convient qu'il faut le cueillir en Septembre, et le faire sécher dans des greniers, sans feu. En 1752, on le cueilloit en May, on le séchoit au four pour pouvoir le faire passer la même année : les habitans trouvant plus de profit à chercher du Gin-sing qu'à semer du blé, abandonnoient leurs-terres pour courir dans les bois, qui se sont trouvés inçendiés en plusieurs endroits par le peu de précautions qu'ils prenoient en faisant du feu.
Si la Compagnie des Indes eût eu ce commerce exclusivement, elle n'auroit reçu que le Gin-sing séché à propos, et cueilli en Septembre; tems auquel les travaux de la campagne sont presque finis et, par ce moyen, le Gin-sing du Canada ne seroit point décrié aujourd'hui en Chine. Observons que celle branche de commerce est de la nature de celles qu'il faut rechercher, parce qu'elle donne des profits réels à l'état : le Gin-sing en Canada ne coûte que la peine de le cueillir, et la consommation s'en fait à la Chine. Observons de plus, que ce privilège exclusif accordé à la Compagnie des Indes étoit analogue à celui qu'elle a déjà, et qu'il ne portait aucun préjudice au commerce en général.
Je ne saurais quitter cet article de la traite des Sauvages, sans ajouter une remarque qui me paraît de quelque importance.
Dans le nombre des marchandises qui viennent d'Europe pour le commerce de pelleteries, il y en a quelques-unes qu'on tire de l'étranger : comme les tavelles, les vermillons, et surtout de certains draps fabriqués en Angleterre. Les Sauvages du Canada employent les écarlatines angloises à faire des couvertes qui leur servent d'habillmens et de parure. Ces draps sont teints partie en rouge, partie en bleu presque noir, et la consommation de ces derniers est la plus forte, parce que les femmes et les hommes en font également usage. Ceux et celles qui veulent plaire, ou qui sont dans l’aisance, ajoutent au bas de ces couvertes plusieurs bandes de ruban ou de tavelle de différentes couleurs; les Sauvages les plus pauvres car, depuis que les Européens se sont établis en Amérique, les Sauvages connoissent la pauvreté, se contentent d'une couverte blanche de quatre points et demi, qu'ils barbouillent avec du vermillon. Les écarlatines entrent donc nécessairement dans les présens que le Roy fait aux Sauvages, et c'est un tribut que nous payons dans la dépendance de leurs manufactures, tandis que nos habitans en Languedoc pourroient les imiter ? Déjà nous les avons supplantez dans le Levant, non-seulement par le bas prix et le long terme auquel nous avons donné nos draps, mais encore par la variété de nos couleurs que ne peuvent imiter les teinturiers de Carcassone, qui se sont depuis perfectionnes au point qu'ils rivalisent dans leur teinture toutes les couleurs de la nature et de l'art. Echouerons-nous dans les écarlatines seules?
Je n'ignore pas que l'on a fait, à cet égard, plusieurs efforts infructueux ; mais le mauvais succès en est venu de ce que dans ces tentatives les fabricans ont moins cherché à imiter la qualité des draps, qu'à en faire qu'ils puissent donner au même prix que les Anglois : économie mal entendue qui toujours a ruiné les étabissemens nouveaux.
Lorsque Colbert voulut former des manufactures de draps en Languedoc, il fit payer, par la province, à chaque entrepreneur d'une manufacture royale, 3000 livres par an, et à chaque habitant particulier une gratification de dix livres par pièce de drap. Quel a été l’effet de mesures si bien prises ? à peine, avant ce ministre, faisions-nous passer 100 pièces de drap chaque année dans le Levant; il en passe actuellement aujourd'hui 80,000 pièces. Cette fabrication même a si fort augmenté qu'il a fallu fixer l'industrie, et fixer des bornes à chaque manufacture en sorte que les habitans sacrifieroient volontiers la gratification de 10 livres par pièce, et qu'ils donneraient autant pour en fabriquer plus qu'il ne leur est prescrit. J’ose avancer que si l'on suit le même esprit, il en sera de même des écarlatines angloises. Il a été envoyé l'année dernière, à cet égard, des mémoires et des échantillons à des fabricans. Les commencements son couteux sont coûteux et difficiles ; mais que le ministre prenne l’objet à coeur ; que la cour récompense, ou au moins indemnise, ceux qui voudront tenter l'imitation des écarlatines en tout point, qualité largeur, couleur, et lizière, nous les atteindrons, nous les surpasserons même: car le génie du François est d'imiter parfaitement sans pouvoir être que contrefait.
Passons maintenant à un article mal connu, mal représenté à la Cour, et négligé en Canada, mais qui pourroit être de la plus grande importance pour cette Colonie, et pour l'Etat : la construction des vaisseaux.
II y a une Construction royale établie à Québec ; le Roy y entretient un Constructeur en chef, et tous les ouvriers nécessaires ; mais cette construction est aujourd'hui décriée, et l'on dit que le Roy va la faire cesser pour les raisons suivantes :
En premier lieu, on prétend que les vaisseaux bâtis à Québec coûtent beaucoup plus que ceux bâtis dans les ports de France ; mais on n'ajoute pas que ce n'est qu'en apparence, attendu qu'il ne passe sur le compte de la construction beaucoup de dépenses qui n’y ont aucun rapport.
En second lieu, que ces vaisseaux jusqu'à présent ont été de très peu de duree; d’où l'on conclut que les bois du Canada ne valent rien.
Pour juger sainement de la qualité de ces bois, il faut entrer dans le détail de ce qui en regarde la coupe, le transport à Québec, et l'employ à la construction.
Premièrement: Les bois du Canada sont extrêmement droits- ce n’est qu'avec beaucoup de peine qu'on trouve dans leurs racines des bois tords, propres a la construction.
Deuxièmement. Jusqu'à présent on n'a exploité que les Charnières les plus voisines des rivières, et conséquemment situées dans les lieux bas, à cause de la facilité du transport.
Troisièmement. Les bois sont coupés en hiver; on les traine sur la neige jusques au bord des rivières et des lacs; lorsque la fonte des neiges et des glaces a rendu la navigation libre, on les monte en radeaux pour les descendre à Québec, où ils restent longtemps dans l'eau, avant d'être tirés à terre, et où ils en contractent une mousse qui les échauffe; encore imbibés d'eau, ils sont exposés dans un chantier à toute l'ardeur du soleil de l'été; l'hiver succède les couvre une seconde fois de neige, que le printems fait fondre, et ainsi successivement jusqu'à ce qu'ils soient employés. Enfin, ils restent deux ans sur les chantiers, où de nouveau ils essuyent deux fois l'extrémité du froid et du chaud qu'on sent dans ce climat.
Voilà les causes du peu de durée de ces vaisseaux.
Si on coupoit les bois sur les hauteurs ; s'ils étoient transporté y construit à Québec dans des barques; si on les garantissoit des injures, du tems dans des hangards, et si les vaisseaux ne restaient qu'une année sur les chantiers, il est évident qu'ils dureroient plus longtems. Sans la démolition de ceux qui ont été condamnés à France, on a reconnu que les brodages s'étoient bien conservés, qu'ils étoient aussi bons que ceux qu'on tire de Suède ; mais que les membres en étoient pourris. Est-il étonnant que les bois tords pris à la racine d'arbres qui avoient le pied dans l'eau, qu'on n’avoit pas eu attention de faire sécher à couvert, s'échauffent quand ils se trouvent enfermés entre deux bordages?
Je ne vois donc pas que les raisons alléguées contre les vaisseaux de Québec soient suffisantes pour en faire cesser la construction. Je dis plus, que de toutes les dépenses que le Roy fait en Canada, celle de la construction me paroît presque la plus nécessaire, et celle qui peut devenir la plus utile. Tout esprit non prévenu sera forcé de convenir qu'on y fera construire des vaisseaux avec plus d’économie que dans les ports de France, toutes les fois qu'on ne confondra pas d'autres dépenses avec celles de la construction. D’ailleurs, il est important qu'il y ait à Québec un certain nombre de charpentiers et de calfats; il en manque aujourd'hui. Malgré ceux que le Roy entretient ; et lorsque les particuliers en ont besoin au printems, ils n'en trouvent point: un calfat se paye six francs pour une marée. J'avoue qu'alors tous les travaux de cette espèce sont pressés; mais ordinairement un charpentier gagne trois a quatre francs par jour avec les particuliers. Indépendamment de l'intérêt des particuliers, les vaisseaux qui viennent à Québec ont quelques fois besoin d'un radoub, et dans le nombre des navires marchands, il y en a toujours quelqu'un qu'il est nécessaire de radouber par des accidens arrivés dans la traversée. Si le Roy faisoit cesser ici la construction de ses vaisseaux, tous les ouvriers qui y sont employés seroient forcés d'aller chercher du travail ailleurs.
Enfin, on a besoin en Canada de petits bâtimens pour les postes de la pêche, pour le commerce de Québec à Montréal, pour le cabotage de la rivière, pour la traite à Gaspé et à Louisbourg, et cette partie de la construction est si fort négligée ici, que les Anglois de ce continent fournissent une partie des bâtimens pour la navigation dans l'intérieur de notre Colonie. Ce n'est pas que leurs bois soient meilleurs, ou leurs bâtimens mieux construits que
les nôtres, mais il les donnent à meilleur marché. Aussi voyons-nous dans toutes nos places maritimes des navires marchands construits dans la Nouvelle-Angleterre.
Loin donc de prendre le parti d'abandonner la Construction royale, parti préjudiciable à la Colonie, et j'ose dire à l'Etat, il seroit nécessaire non-seulement que le Roy continuât à faire construire des vaisseaux en Canada, mais encore qu’il y encourageât des entrepreneurs pour la construction de batimens marchands. La gratification de vingt francs par tonneau, accordée aux particuliers qui feroient passer en France des bâtimens construits en Canada ne suffiroit pas aujourd'huy pour les engager à faire à cet égard des entreprises d'une certaine considération; la main-d'oeuvre est hors de prix, et les entrepreneurs seraient forcés de faire venir de France les voiles, cordages et autres agrès.
Il faudroit, indépendamment de la gratification, que le Roy fit passer à Québec une partie de ses agrès, et qu'il les donnât aux entrepreneurs à un prix raisonnable ; il faudroit en outre qu'il leur procurât un fret pour les bâtimens qu'ils envoyeroient en France et il le leur procurerait en ordonnant qu'on reçut dans ses ports les planches, bordages, merrains, plançons de chêne, mâtures et autres articles de cette espèce, dont ces bâtimens seroient chargés, au même prix qu'il les paye aux fournisseurs qui tirent tous ces articles de l'étranger; en prenant ces mesures, le Canada fourniroit les bâtimens nécessaires pour le commerce intérieur de la Colonie, dispenserait la France d'avoir recours aux Anglois pour les navires qui manquent à son commerce en Europe, et que les Anglois construisent dans le même continent où nous avons de si vastes possessions ; les mâtures du Canada, estimées autant que celles que nous tirons du Nord à grands frais, ne seroient pas pour nous en pure perte ; ces exploitations devenant considérables, faciliteraient la culture des terres, en désertant des cantons qui, peut-être, ne le seront jamais ; enfin cette construction, établie sur le pied où on le propose, coûteroit sans doute, au Roy ; mais cette dépense, sagement économisée, feroit partie de celles que nous avons dit être nécessaires pour la balance du commerce de cette Colonie avec la France.
Il est tems de parler de la Monnoye dont on se sert en Canada: Monnoye dont cet article ayant un rapport nécessaire avec le commerce tant intérieur qu’extérieur.
La monnoye est un signe qui représente la valeur de toutes les marchandises, et ce signe a communément lui même une valeur intrinsèque La monnoye employée en Canada n’en a aucune comme représentant l'argent; elle est le signe du signe: c'est du papier qui n'a cours que dans la Colonie même.
Cette Monnoye est de deux espèces : Cartes et Ordonnances. II y a longtems qu'on fabrique un million de livres en cartes, qu'on dit avoir été destiné pour le payement des troupes; il y en a de 24, de12 de 6 de 3, de 1 livre; de 15 sols, de 10 sols, de 7 sols, de 6 deniers. Elles sont toutes avec l'empreinte, en blanc, des armes de France et de Navarre, et sont signés par le Général, l'Intendant et le Contrôleur. Les Ordonnances sont imprimées ; le numéro, la somme en chiffres et en écriture sont à la main, signées par le seul Intendant. Il y en a de 100, de 96, de 50, de 48, de 24 de 12, de 6, de 3 livres, de 30 sols et de 20 sols. J'ai parlé plus haut des récépissés du castor, qui forment une troisième monnoye en papier, la plus estimée de toutes. A l'égard de la circulation de cette monnoye de papier, tant intérieure et extérieure, vis-à-vis de la France, les négocians et ceux qui habitent les villes convertissent chaque année tout leur papier en Lettres de Change que donne l'Intendant sur les Trésoriers des Colonies ; ils renvoyent même le plus qu'ils peuvent le payement de leurs dépenses après le départ des navires, afin de faire plus de remises en France, soit pour payer le montant des marchandises qu'ils en ont reçues, soit pour en faire venir d'autres. Aussitôt que les navires sont partis, l'argent ne porte plus d'intérêt en Canada, et les négocians se prêtent réciproquement jusqu'au mois de Septembre suivant, sans exiger de demeure; les fonds qui sont dans la Colonie, sont la plus grande partie entre les mains des habitans de la campagne.
Avant l'arrivée des troupes de France dans cette Colonie, il y avoit très-peu d'espèces; le peu qui en paroîssoit répandu, par les officiers des vaisseaux du Roy et des navires marchands, étoit enlevé aussitôt par les particuliers qui en faisoient faire de la vaisselle, ou qu'ils enfermoient pour ne plus reparaître. Le commerce de contrebande avec les Colonies Angloises répandoit aussi une certaine quantité de piastres espagnoles; ces piastres étaient recherchées pour le commerce de nos Isles, et depuis les longs termes des Lettres de Change du Trésor, dont nous allons parler tout à l'heure les négocians les préféraient aux Ordonnances pour faire partie de leurs retours, malgré le haut prix de . . . . . auquel ils les payoient et le risque de la mer.
La Monnoye de Carte étoit encore préférée aux Ordonnances parce que dans les réductions sur les Lettres-de-Change, les Cartes n'étoient pas comprises ; ces réductions avoient lieu lorsque la dépense du Roy en Canada étoit extraordinaire, et la valeur des papiers portés au Trésor plus forte que celle que le ministre avoit indiqué de tirer sur les Trésoreries des Colonies ; alors la valeur des Cartes se payoit toute entière en Lettres de Change, et la réduction ne tomboit que sur les Ordonnances : à la vérité cette réduction étoit remboursé aux particuliers en Cartes, pour lesquelles ils ne pouvoient avoir des Lettres de Change que l'année d'après. Aussi, eu égard à cette préférence, les gens de la campagne vendoient leurs denrées à bien meilleur marché à ceux qui les payoient de cette monnoye ; et même les habitans laborieux, et en état de faire des épargnes, avoient grande attention de réduire leur comptant en Cartes, de façon qu'il n'en paroissoit chaque année au Trésor que pour environ cent mille livres.
En 1753 les dépenses de la Colonie furent extraordinaires, et on admit un nouveau système pour ne pas les payer en entier à Paris. Dans le courant de l'année 1754, au lieu de faire une réduction qui eût été trop forte, on délivra des Lettres de Change pour la valeur entière des papiers portés au Trésor, mais payables seulement partie en 1754, partie en 1755 et partie en 1756. Alors les Cartes furent confondues avec les Ordonnances; on ne donna pas pour leur valeur des Lettres de Change à plus court terme. II est même à présumer qu'on a chercher à anéantir cette monnoye: le Trésorier ne s'en servant plus dans les payemens. Cette opération qui n'occasionnoit qu'environ 6 pour % de différence sur les payemens ordinaires, a fait augmenter les marchandises de 15 à 20 pour % : la main-d'œuvre a augmenté à proportion, et c'est le Roy qui 'supporte la majeure partie de cette augmentation par la consommation qu'il fait en marchandises, et par les divers travaux qui sont à sa charge. Depuis 1753, les Lettres de Change ont toujours été tirées pour trois ans, avec une petite différence dans la répartition de chaque année ; mais comme on ne peut être instruit de l’état de cette répartition qu'après que la plupart des ventes sont faites, attendu qu'elle se règle sur toute la somme qui entre au Trésor, les négocians dans ces incertitudes mettent les choses en prix, et vendent le plus cher qu'ils peuvent.
Les espèces qui sont venues avec les troupes de France, ont produit un mauvais effet. Le Roy en a perdu partie dans les vaissaux le Lys et l'Alcide ; elles ont décrédité le papier ; la guerre n'étoit pas encore déclarée lorsqu'elles parurent en Canada, et on croyoit raison que les Lettres de Change, continueroient à être tirées pour le terme de trois ans ; les négocians donnèrent donc leurs marchandises à 16 et 20 pour % meilleur marché en espèces ; on trouvoit sept francs de papier pour un écu de six francs. Dès que la déclaration de la guerre a été publiée, cet avantage a diminué ; les négocians n'ont pas osé faire des retours en espèces ; il en a
quelque partie à Gaspé ; le reste est entre les mains de gens qui ne font point de remises en France ; ils aiment mieux perdre quelque chose, et le garder dans leurs coffres, en effets plus réels, que des cartes et des ordonnances ; en conséquence ces papiers ont circulé presque seuls dans le commerce ; ils ont été portés au trésor, et ont augmenté les Lettres de Change qu'on a tirées cette année.
Le Roy voulant conserver aux troupes de terre le traitement qu'il leur avoit promis, pouvoit les faire payer en monnoye de papier distinguée : il auroit été délivré des Lettres de Change au premier terme s'il n'avoit pas pu conserver par cette opération le crédit du papier du Canada, du moins il auroit évité la perte des espèces qui étoient dans le Lys et l'Alcide.
Examinons maintenant quel est l'effet de la monnoye de papier établie en Canada.
Les espèces qu'il faudrait y envoyer dans le mois de Mars sortent des coffres des trésoriers que dans l'année suivante première épargne pour le Roy, qui jouit encore de tout le papier non converti en Lettres de Changes, qui reste annuellement entre les mains des particuliers, et de celui qui se perd par incendie ou autrement ; de plus il épargne les frais et le risque du transport des espèces, dont une partie passerait chez l'étranger, et ferait languir le commerce par le manque de circulation ; une autre repasseroit en Erance, et souffriroit encore le risque de la mer; enfin et cette dernière considération purement politique n'est pas à mépriser l'habitant qui sait qu'il ne pourrait faire aucun usage des cartes, des ordonnances, si les Anglois s'emparaient du pays, est engagé le défendre par son propre intérêt.
De tout ce qui précède, je conclus que le Roy, l'Etat et le Commerce en général pourraient tirer un grand avantage de la monnoye de papier établie en Canada ; mais que si les choses restent dans la situation où elles sont aujourd'hui, le Roy, l'Etat et le Commerce en souffriront de plus en plus.
Afin de tirer de cette monnoye toute l'utilité qu'il est facile d'envisager, je proposerois de lui donner le même crédit qu'à l'espèce elle-même qu'elle représente, et dans cette vue il seroit nécessaire de la revêtir de la plus grande autorité possible; de prendre toutes les précautions convenables pour empêcher qu'elle ne soit ny térée ny contrefaite, et ne pas la rendre trop abondante.
En premier lieu, on sait aujourd'hui le tarif des dépenses que le Roy fait annuellement dans cette Colonie, en tems de paix. Supposons-le de cinq millions et que le Roy veuille les continuer sur ce pied ; on fabriquera en France cette somme en billets imprimés de différentes valeurs, dont chacun sera signé par les Trésoriers Colonies. Ces billets arrivés en Canada, seront encore signés de l’Intendant ; par ce moyen on évitera toute fausse monnoye : il est impossible de raturer les lettres imprimées pour leur en substituer d’autres, et il esst plus difficile de contrefaire trois ou quatre signatures que d’en imiter une seule quelle qu’elle soit.
En second lieu, on sait aussy ce qui reste, à peu près, chaque année en Canada de monnoye de papier qui n'est point portée au Trésor ; supposons qu'il en reste pour un million, il y a chaque année quatre millions de Lettres de Change tirées sur les Trésoriers des Colonies, payables 500,000 livres les huit premiers mois de l’année suivante.
L'Intendant ne pourra pas fabriquer de nouveaux papiers, ny tirer une plus forte somme sans de nouveaux ordres. Dans le cas d'une dépense extraordinaire, il y pourvoira en achetant des marchandises pour le terme d'un an, ou en empruntant même des papiers au change de 5 à 6 pour °/o ; le Roy aura pourvu à ces cas extraordinaires, en authorisant l'Intendant à tirer l'année d'après une plus forte somme de Lettres de Change, sans augmenter la fabrication du papier.
Il est égal aux négocians de remettre dans le cours de l'année au Trésorier les billets qu'ils ont, ou de les lui porter dans le mois de Septembre, dès lors qu'ils seront assurés qu'on leur délivre pour leur valeur des Lettres de Change avant le départ des navires.
Quant aux billets imprimés qui se trouveront déchirés ou usés au point qu'ils.ne pourroient plus avoir cours dans le public, ils seront brûlés après qu'il en aura été dressé un procès-verbal sur lequel ces billets seront remplacés à Paris.
Comme il n'y a dans le Canada que cette sorte de monnoye, il seroit facile de juger de l'aisance des habitans par ce qui en seroit porté au Trésor ; vu, ce que nous avons déjà dit, que le papier qui reste chaque année est entre les mains des habitans, cette connaissance et la façon dont ils vivent chez eux pourroient indiquer les moyens de lever facilement des impôts dans l'occasion.
En dernier lieu, ce papier n'auroit aucune valeur, vis-à-vis les Anglois des Colonies voisines, qu'autant qu'ils le renverroient Québec pour en avoir des Lettres de Change sur Paris.
Il ne nous reste plus qu'à dire un mot des revenus du Roy en Canada. II y a des droits d'entrée et de sortie établis sur les marchandises: le Guildive paye 24 livres par barrique; le Vin 12 livres ; les Eaux-de-vie 24 francs la velte ; les autres boissons à proportion. Il y a un tarif pour toutes les marchandises sèches, et celles qui ne sont pas comprises dans ce tarif payent 3 pour % sur la facture c'est-à-dire au prix qu'elles ont coûté en France dans les fabriques.
Ce tarif n'est point exact: il y a des marchandises qui payent plus, d'autres moins, proportion gardée avec les 3 pour % qu'il semble qu'on a voulu imposer.
Il y a un autre tarif pour les marchandises des sorties, et pour les pelleteries : 0ces droits tant d'entrée que de sortie produisent dans les tems ordinaires environ trois cent mille livres; somme qui varie, toutefois, suivant la consommation qui règle toujours les envoys de France.
Jusques en 1753 on donnoit le terme d'un an pour le payement de ces droits ; on a depuis exigé qu'ils fussent payés comptant. Le Roy n'y a gagné que l'avance d'une année seule ; c'est-à-dire qu'il a reçu en 1753 les droits de l'année courante et de 1754, et le Commerce en a beaucoup souffert. On sait que le négociant fait supporter à la marchandise, non-seulement les frais, mais encore la demeure de l'argent qu'il paye s'il emprunte, s'il achète à crédit, ou qu'il recevroit d'ailleurs s'il prêtoit ; en outre, il est des cas ou la nécessité de payer les droits comptant embarrasseroit le négociant le plus aisé s'il recevoit dans le mois d'Octobre des cargaisons de vin et d'eau-de-vie, et quand dans le même tems les boissons ne fussent pas demandées, il seroit obligé de payer une forte somme sans espoir d'être remboursé par la vente avant le départ des navires; ce qui diminuerait d'autant plus son mémoire de demande pour l’année suivante D'ailleurs, les domiciliés qui seuls font valoir le pays, qui consomment les denrées, qui payent l'entretien des casernes, sont aux mêmes taux que les particuliers qui viennent vendre leurs pacotilles à Québec, et qui retournent en France la même année sans avoir fait d'autre bien à la Colonie que d'y avoir vendu leurs marchandises le plus cher qu'ils ont pu.
Le payement des droits comptant a donc porté plus de préjudice au commerce, qu'il n'a porté d'avantage au Roy.
Outre les droits d'entrée et de sortie, il y a encore quelques postes de traite qui s'exploitent au compte du Roy ; mais cet article est presque rien: ainsy, il s'en faut bien que les revenus du Roy en Canada soient proportionnés aux dépenses qu'il y fait.
J’ai dit que ces dépenses sont nécessaires au Commerce du pays tel qu’il est établi aujourd'hui; cependant, il est très-possible d’en diminuer sans que le commerce en souffre ; les moyens que j'en puis indiquer ici seroient :
1. De donner au papier le même crédit qu'aux espèces.
2. D'admettre une nouvelle forme dans l'administration de ses dépenses.
Dès le mois d'Aoust le payement d'une partie de ces dépenses est envoyé au mois de Décembre. Après le départ des navires, les entrepreneurs et les fournisseurs, pour faire face à leurs engagemens, sont obligés d'emprunter à un change usuraire ; ils payent au moins 6 pour % des sommes qu'ils empruntent en Octobre jusques au mois de Décembre : le Roy doit nécessairement supporter cette forte demeure.
Outre les dépenses qui sont fixes, comme le payement, l'entretien des troupes, des ouvriers employés à la construction et à d’autres travaux, le Roy consomme en Canada une quantité considérable de marchandises en tout genre, pour les présens aux Sauvages, l'équipement de certains postes qu'il fait exploiter, et des miliciens qu'il faut envoyer en campagne.
Le Roy fait venir une partie de ces marchandises, et il achète en surplus à Québec ou à Montréal; mais les achats ne se font presque jamais en droiture chez les négocians ; le Roy achète ordinairement de la seconde main ; ceux qui sont à la portée de savoir mieux que les gens qui sont à la tête de l'administration, ont attention de s'en munir à propos, et avant que le public soit informé du besoin que le Roy en a. Comme ces achats forment toujours des sommes considérables, les négocians, pour faire une grosse vente donnent les marchandises souvent à 15 ou 20 pour % au dessous du cours; ensuite ces marchandises qu'on a eu le secret de faire augmenter en les rendant rares dans les magasins du Roy 20 pour % au dessous du cours; cette sorte de spéculation a donné des profits immenses dont tout le monde n'a pas profité.[6]
Si l'Intendant, au lieu de demander annuellement en France des marchandises qu'il croit nécessaires aux magasins du Roy pour une année suivante, proposoit aux négocians de les faire venir au rabais ; chacun d'eux se chargeroit des articles les plus à portée du genre de son commerce, que par conséquent ils pourroient tirer à leur marché, il suffirait de les obliger à prouver qu'ils ont: charger ces articles, sans les forcer à les remplacer au cas que leurs navires eussent péri, ou qu'ils eussent été pris ; par cet arrangement les négocians, assurés de la vente, se contenteroient d'un léger profit sur une partie que ne diminuerait point leur commerce ordinaire, et le Roy gagneroit beaucoup à cette nouvelle forme, et les petits profits répandus sur tous les négocians produiraient un effet avantageux au commerce. Dans le cas où le Roy auroit besoin de quelques marchandises avant l'arrivée des navires, l'Intendant en achèteroit, de même, de la première main au rabais.
Il y auroit, sans doute, d'autres moyens de diminuer les dépenses énormes que le Roy fait en Canada; mais comme ils tiennent à un changement à faire dans l'administration même, ce n'est ici ni le temps, ni le lieu d'en parler.
Concluons de tout ce qui a été dit dans ce mémoire, que cette Colonie dans son état actuel, dépourvue de loix et presque de reglemens de police, livrée à des vers rongeurs qui en dévorent la substance, nuit à elle-même et à l'Etat; mais qu'elle seroit susceptible d'une réforme dans les établissemens déjà faits, et établissemens nouveaux qui la rendroient florissante et utile à sa métropole ; qu'il faudroit y encourager la population; chercher des moyens pour faire revenir les hommes qui y sont ; laisser les habitans sur leurs terres, et les engager par toutes sortes de motifs à les cultiver ; favoriser le commerce dans toutes les branches connues, et dans celles qu'on pourrait découvrir; établir une Maison de Ville et une Chambre de Commerce à Québec et à Montréal, y faire observer autant que possible les lois de police qu'on suit en France, surtout celles qui ont rapport aux besoins indispensables de la vie, pour diminuer le prix de la main-d'oeuvre; subvenir aux dépenses nécessaires à la sûreté publique; prévenir et arrêter les incendies; y faire au moins quelques établissemens capables de donner aux citoyens l'espoir de se rendre recommandables, de leur inspirer l'amour d'une patrie où ils trouveroient les douceurs de la vie, et les agrémens de la société; y procurer pour cela quelque lieu d'assemblée, quelque amusement public qui dédommage de la rigueur du climat dans un tems où toutes les affaires restent suspendues ; enfin, suivre l'exemple de nos voisins, dont les Colonies, fondées par des gens habiles, élevées et pour ainsy dire nourries par de bonnes loix, ont acquis un tel degré de constitution heureuse qu'on l'enviroit dans les royaumes de l'Europe les plus florissans.
FIN.
[1] Il faudrait diminuer le nombre des entrepôts pour la traite; n'en établir qu'au Sault Ste. Marie, à Michilimakinac, au Détroit et à Niagara: ces lieux suffiraient pour tous les pays d'en: haut. Il faudrait ne souffrir aucune autre espèce d'hyvernement. Par ce moyen on éviteroit une source de querelles avec les Sauvages, ; et on épargnerait les hommes. Les meilleurs s'épuisent aujourd'hui 1 de fatigue pour le service de tous ces postes, ou y restent pour le| libertinage.
[2] Ils en trafiqueraient, sans le privilège exclusif accordé à la compagnie.
[3] La compagnie étant maîtresse des règles du prix, les voyageurs n'en sont pas toujours exempts ; ils passent du Castor en contrebande aux Anglois.
[4] Ils pourraient souscrire à toutes ces conditions, si le commerce en Canada n'avoit que l'espèce d'entrave qui lui est nécessaire.
[5] On a dit, plus haut, la vraie raison de cette contrebande.
[6] Le sens de ce passage est incomplet
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