Mémoire sur le Canada, vers 1736
Texte attribué à Gilles Hocquart
[Publié par la Literary and Historical Society of Quebec dans Historical Documents, Series 1, Vol. 2, No. 2 (1840)]
La Colonie de la Nouvelle-France peut contenir environ quarante mille personnes,[1] de tout âge et de tout sexe, sur lesquelles il se trouve dix milles hommes en estât de porter les armes.
Les Canadiens sont naturellement grands, bien faits, d'un tempérament vigoureux. Comme les arts n'y sont point gênés par des maîtrises, et (que) dans les commencemens de l'établissement de la Colonie les (ouvriers) étaient rares, la nécessité les a rendus industrieux de génération en génération: les habitans des campagnes manient tous adroitement la hache; ils font eux-mêmes la pluspart des outils et ustenciles de labourage; bâtissent leurs maisons, leurs
grangent ; plusieurs sont tisserands, font de grosses toiles, et des étoffes qu'ils appellent droguet, dont ils se servent pour se vêtir eux et leur famille.
Ils aiment les distinctions et les caresses, se piquent de bravoure, sont extrêmement sensibles au mépris et aux moindres punitions. Ils sont intéressés, vindicatifs, sont sujets à l'ivrognerie, font un grand usage de l'eau-de-vie, passent pour n'être point véridiques. Ce portrait convient au grand nombre, particulièrement aux gens de la campagne : ceux des villes sont moins vicieux. Tous sont attachés à la Religion ; on voit peu de scélérats ; ils sont volages ; ont trop bonne opinion d'eux-mêmes: ce qui les empesche de réussir, comme ils pourraient le faire, dans les Arts, l'Agriculture et le Commerce. Joignons à cela l'oisiveté à laquelle la longueur et là rigueur de l'Hyver donne occasion. Ils aiment la chasse, la navigation, les voyages, et n'ont point l'air grossier et rustique de nos paysans de France. Ils sont communément assez souples lorsqu'on les pique d'honneur, et qu'on les gouverne avec justice mais ils sont naturellement indociles. Il est nécessaire de fortifier de plus en plus l'exacte subordination qui doit être dans tous les ordres, dans les gens de la campagne. Cette partie du service a esté de tout tems la plus importante et la plus difficile à remplir. Un des moyens pour y parvenir est de choisir pour Officiers dans les Costes les Habitans les plus sages, et les plus capables de commander, et d'apporter de la part du Gouvernement toute l'attention convenable pour les maintenir dans leur authorité. On ose dire que le manque de fermeté, dans les Gouvernemens passés, a beaucoup nui à la subordination. Depuis plusieurs années les crimes ont esté punis- ; les désordres ont esté réprimez par des châtimens proportionnez ; la Police par rapport aux chemins publics, aux cabarets, &c. a esté mieux observée, et en général les habitants ont esté plus contenus qu'ils ne l'étoient autrefois.
Il y a quelques Familles Nobles en Canada; mais elles sont si nombreuses qu'il y a beaucoup de Gentilshommes.
Voicy les noms des principales de ces familles.
Famille Le Gardeur.
Branches : Repentigny, Courselle, Tilly de Beauvais, St. Pierre.
Famille Denys.
Branches : Denys de la Ronde, De St. Simon, Bonaventure.
Famille Daillebout.
Branches : Périgny, Manthet, Dargenteuil, Des Mousseaux.
Boucher.
Cette famille est établie à Boucherville, Village près de Montréal. L'aîné qui est âgé de près de quatre-vingt-dix ans, a plus de cent quatre-vingt-dix enfans, petits-enfans, frères, neveux et petits-neveux.
Contrecoeur, La Valterie, St. Ours, Meloises, Tarrieu de la Pérade.
Toutes ces familles viennent du Régiment de Carignan, envoyé au Canada en 1669.
Le Moyne.
C'est la famille des Longueuils.
Aubert.
Hertel, Godefroy.
Ces deux familles sont très nombreuses.
Damours.
Il y a d'autres gentilshommes qui sont dans les troupes, mais dont les familles sont moins anciennes dans le pays.
Tous les gentilshommes et enfans d'officiers désirent entrer dans le service; ce qui est louable en soy même; mais comme la plupart sont pauvres, plusieurs y entrent pour y trouver une petite ressource dans la solde du Roy, plutost que par d'autres motifs. M. le Gouverneur Général choisit les meilleurs sujets; on a de la peine à engager les autres à faire valoir des terres ; peut-être conviendroit-il d'en faire passer quelques-uns en France, pour y servir dans la Marine, afin de s'attacher de plus en plus la Noblesse et les gens du pays.
Il y a vingt-huit Compagnies entretenues en Canada, composées chacune d'un Capitaine, d'un Lieutenant, d'un Enseigne en pied et d'un Enseigne en second ; de 28 Cadets à l'éguillette, et 784 soldats ; nombre trop petit pour garder les postes, et pour les garnisons des villes. Il y a actuellement dans les postes 214 soldats ; de sorte que les troupes n'ayant point encore été complétées et estant indispensable de donner quelques congez à des soldats, il ne reste pas plus de 500 hommes pour les garnisons des trois villes de la Colonie; ce qui n'est pas suffisant pour contenir les peuples des villes et des campagnes dans le bon ordre. En général, il est d'une importante extrême que les troupes soient mieux disciplinées qu'elles ne le sont, que le soldat soit mieux entretenu, plus veillé et qu'il prenne l'air militaire, qu'il n'a point, et qu'il soit plus souvent exercé. Mais, ce sera assez difficile d'y parvenir, si on ne cazerne les troupes à Québec et à Montréal. On estime qu'un Commandant des troupes, habile dans la connaissance de l'Infanterie, qui fût bon homme de guerre et ferme, seroit très utile aujourd'hui. A l'égard des cazernes, il y en a à Québec qu'il faudrait rétablir, et on trouvera des emplacemens à Montréal pour en bâtir: les fonds qui ont esté jusques à présent destinés pour l'enceinte de Montréal pourroient y estre employez.
On a sollicité depuis quelques années deux compagnies suisses du Régiment de Xavier pour envoyer en Canada ; ces Suisses y réussiraient : ce sont de bonnes troupes, biens disciplinées ; l'émulation qu'elles donneroient, mettrait nos troupes françoises sur le bon pied : cela est arrivé à l'Isle Royale. Les Milices des Costes sont mieux disciplinées qu'elles ne l'estoient autrefois, particulièrement dans le Gouvernement de Québec, où on leur fait prendre les armes de temps en temps. M. le Gouverneur Général détacheà cet effet, toutes les années, un Officier pour cela.
Cy-joint l'Extrait du nombre de soldats qui sont dans les postes | au 1er Octobre 1736.[2]
La Liste des Officiers des Compagnies.
Une Liste des Officiers des Etats-Majors des places, et
Celle des Officiers de Justice et de Finances qui servent en Canada.
Par les Etats du Commerce et par les Recensemens qui ont été envoyés, on connoit le produit des Cultures et du Commerce ; il en sera encore touché quelque chose.
La principale culture est celle du blé ; le pays en fournit pour un commerce à l'Isle Royale et aux Isles. Dans les bonnes années, il sort de la Colonie 80 mille minots de blé en farines et biscuits. Il en sortira peu en 1737 : la récolte ayant esté très-mauvaises l'année dernière. Les Terres en Canada ne sont pas toutes de la même bonté et du même rapport ; celles du Gouvernement de Québec sont meslées de terres hautes et de terres basses, et par cette situation les années pluvieuses sont favorables aux premières, et les années sèches le sont aux autres : il n'en est pas de même des Terres du Gouvernement de Montréal, qui sont planches et unies.
Les printemps secs y sont toujours à craindre pour les biens de la terre.
Tous les blés que l'on sème sont des blés de printemps ; il est toujours à souhaiter que les semences puissent estre faites dans les premiers jours de May de chaque année, afin que les blés puissent profiter des pluyes de la saison. Quand les hyvers sont longs, les semences se font trop tard. Les terres ordinaires rapportent depuis huit jusqu'à douze et quinze pour un ; les terres heureuses rapportent davantage.
On avoit voulu introduire, il y a quelques années, la culture du blé d'automne; on croit qu'il seroit dangereux de l'establir : ce seroit exposer la Colonie à une famine, parce qu'elles se trouveroit sans ressource. Le blé d'automne, à la vérité, est d'une qualité supérieure, et d'une meilleure garde que le blé de printemps ; il réussirait pour l'ordinaire ; mais dans les essays qui ont esté faits, on a reconnu que, quand les neiges sont venues tard, ou qu'après la fonte des neiges il est survenu des gelées, les blés d'automne qui festoient en herbe périssoient: cela arrive même aux herbes des prairies qui sont plus dures, et moins susceptibles du froid.
Les autres espèces de grains que l'on cultive sont, l'Avoine, Pois, peu d'Orge, encore moins de Seigle: les autres cultures consistent dans celles du Lin, du Chanvre et du Tabac. Il y a peu de vergers.
On propose de perfectionner la culture du Tabac. Les Fermiers généraux estiment, par les essays qu'ils ont faits des Tabacs du Canada qui leur ont esté envoyez, qu'ils seront propres pour la consommation de la France, si l'on s'attache à suivre les instructions qu'ils ont données pour cette culture. Les habitans ne manqueront pas de s'y porter dès qu'on leur en donnera un prix un peu avantageux ; il ne convient point qu'il le soit trop, de crainte que cette culture ne s'établisse aux dépens de celle du blé ; ce serait ne rien faire. On croit que le prix de quatre sols six deniers à cinq sols la livre de cette denrée, vendue à Québec, serait suffisant; mais
les Fermiers généraux ne doivent pas compter d'en livrer plus de deux à trois cents milliers d'ici à quelques années, jusqu'à ce que les habitans ayent défrisché plus de terres, et que ce nouvel objet les rendent plus laborieux. On ne croit pas se tromper dans cette conjecture.
Cet animal qui abondoit autrefois dans toutes les parties de l'Amerique Septentrionale, est aujourd’hui tort éloigné de la Colonie peuplée où il ne s'en trouve que peu. Les postes d'où il en vient une grande quantité, sont ceux du Lac Alepimigon, Camanistigoya, la Pointe de Chagoumigon, dans le Lac Supérieur ; Michilimakinac ; la Bave: aux Sioux ; le Poste de la Mer d'Ouest ; Témiscamingue, et les terres du domaine de Tadoussac. Il en a esté reçu dans les Bureaux de la Compagnie des Indes en Canada, pendant l'année dernière, 185. 8rs.
Les Anglois doivent tirer du Canada même une bien plus grande à quantité de cette marchandize ; les Sauvages les plus éloignez la leur apportent à Chouegen, où ils sont attirez par la distribution de l'Eau-de-vie que les Anglois leur débitent sans mesure. La passion que les Sauvages ont pour cette boisson est connue : cependant il faut convenir que ce n'est pas là le seul motif qui les engage à aller chez les Anglois : ils y trouvent à bien meilleur compte les marchandizes dont ils ont besoin, et les Anglois leur donnent un prix du Castor bien au-dessus de celui que les François leur donnent; la différence est le prix d’entrée en sus : il seroit a souhaiter que la compagnie des Indes pût augmenter le prix du Castor, si elle y trouvoit encore son profit, et qu'elle diminuerait le prix des Ecarlatines ; elle en seroit dédommagée par une plus grande recette de Castor.
Les Sauvages de la Colonie qui sont les plus reculés, comme ceux du Lac Supérieur, fréquentent plus Chouaguen que les postes François ; et sans les nouveaux établissements qui ont esté faits, le commerce du Castor ne se seroit point soutenu ; les nouveaux objets de commerce qui se présentent nous dédommageront, s'ils ont lieu.
Il n'y a point à douter que l'exploration des Mines de Fer qui sont aux environs des Trois-Rivières, n’ayent le succès qu’on en a espéré ; l'établissement sera dans la perfection cette année.
Les Mines de Cuivre du Lac Supérieur donnent des espérances bien flatteuses ; mais tous les mémoires qui ont este donnés jusques à présent sur leur découverte ne paroissent point encore assez détaillez pour prendre des mesures bien coûteuses qui en avancent l'exploitation. On en promet d'autres sur la découverte d'une Isle dans le Lac Supérieur, que tous les Sauvages de ce quartier assurent unanimement être remplie de Cuivre. Cette Isle est marquée sur la nouvelle Carte. Si le fait est vrai, on passera de la Rivière de Témiscamingue, et de la Rivière au Fer, d'où ont été tirez les Lingots ou Marcassites de Cuivre qui ont esté envoyez cette année. De la Ronde, le fils, doit visiter cette Isle et en rendre compte. On n'aura rien à craindre des Sauvages dans l'Isle en question, où l’on ne peut aller que très-difficilement en canot, et qu'avec beaucoup de risques, au lieu que les Sauvages Renards et leurs alliés fréquentent et chassent dans la Rivière Tonnaganne et aux environs. Toute cette partie de l'Amérique est remplie de Mines de Cuivre; on ne peut juger par le mémoir cy-joint qui fait connoître les différens endroits où l'on a trouvé de ce métal.[3]
Il a esté proposé d'envoyer dans la Colonie un homme expert non-seulement dans la connoissance des métaux, mais qui fût encore un homme de ressource et à l'expédient, pour visiter ces mines, proposer un parti pour l'exploitation et pour le transport jusqu’à Montréal, qui sût examiner et résoudre les difficultés qui s'y trouveront. Un homme de cette espèce est rare ; l'objet mérite qu'on en fasse la dépense. Si l'on peut pleinement s'assurer, l'année prochaine, de l'exécution d'un projet pour l'exploitation de ces mines il conviendra de se fortifier dans les postes qui sont sur le passage et, en attendant, de gratifier plus qu'à l'ordinaire les Sauvages, sans qu'ils pénètrent nos vues. Les postes à fortifier sont Michilimakinac, du Détroit, Niagara, et même le Fort Frontenac : autrement, à la première rupture, la jalousie des Anglois leur fera mettre tout en usage pour pénétrer dans les pais d'en haut, et en chasser les François ; peut-estre même ne se serviroient-ils que de la voye des Sauvages. On estime qu'il faudrait une garnison de 50 hommes à Michilimakinac ; quoique le pais soit ingrat, on trouvera le moyen de la faire subsister; 80 ou 100 hommes au Détroit; 50 hommes à Niagara.
Depuis quelques années la construction de bâtimens de mer prend faveur : la gratification que Sa Majesté accorde pour ces constructions y a beaucoup contribué. La culture et le débouché du Tabac donneront par la suite occasion à des constructions considérables. Le bois de Merisier est reconnu pour très-bon, du moins pour les fonds des vaisseaux ; il s'en trouve en Canada un abondance de tout échantillon ; on tirera pendant longtemps des bois de chêne des environs du Lac Champlain, et des terres qui,, sont audessus de Montréal, pour faire des bordages ; des armateurs de Rouen et de Bordeaux doivent faire construire cette année deux bâtimens de 2 à 300 tonneaux, à la Digue du Palais de Québec. En général, dès que les nouveaux objets de commerce auront lieu, la construction augmentera ainsi que les autres établissemens.
On a concédé depuis quelques années beaucoup de Terres sur les bords du Lac Champlain; mais elles ne peuvent s'établir que successivement, et peu à peu. On estime qu'il seroit à propos de faire construire dans un lieu commode, près du Fort de la Pointe à Chevelure, un Moulin soit a Vent ou a Eau, pour faire establir plus promptement les terres de ce costé-là ; le Roy y trouvera encore un avantage, en ce que l'on fera subsister la garnison a moins de frais lorsque les terres du voisinage du Fort fourniront des grains et les autres choses nécessaires à la vie. Cet establissement, qui est proche des Anglois, procurera par la suite un nombre d'habitans qui empescheront nos voisins de pénétrer dans le centre de la Colonie.
Tous les Sauvages qui habitent le continent du Canada, depuis le bas de la Rivière et l'Acadie, jusques aux Illinois, composent environ 30 nations; et on ne croit pas qu'ils passent plus de 29 à 30 mille guerriers.
Nous avons, dans la Colonie peuplée, cinq Villages de Sauvages domiciliés, qui sont :
Le Village des Hurons de Lorette, à trois lieues de Québec, composé de 30 guerriers.
Deux Villages d'Abénaquis, près des Trois-Rivières, St. François et Bécancourt, faisant 300 guerriers.
Le Village des Iroquois du Lac des Deux Montagnes, dans le quel habitent aussi des Algonkins et Népissingues ; ces deux derniers Villages composent environ 300 guerriers.
Quelques Sauvages Algonkins et Népissingues, vagabonds, aux environs des Trois-Rivières, au nombre de 30.
Tous ces Sauvages sont Chrestiens, bons ou mauvais, attachés depuis longtemps aux François ; ce qui ne les empesche cependant pas de faire de fréquentes courses en la Nouvelle-Angleterre, surtout les Abénaquis et les Iroquois du Sault St. Louis.
Les Abénaquis des Villages de l'Acadie sont ceux de Panadouske ou Pentag8et, Narantsouack, et la Rivière St. Jean, et composent environ 400 hommes.
Les Micmas, voisins de ces derniers, sont divisez en trois principaux villages: Miramischi, Ristigouche, et Chibougtou, et composent 500 hommes.
Ces Abénaquis viennent, presque toutes les années, en deputation à Québec, et tâchent de nous persuader de leur affection pour nous ; ils en ont effectivement, mais les Anglois dont ils sont proches voisins, et avec lesquels il sont en commerce journellement, s'efforcent de leur inspirer d'autres sentimens. Ces Sauvages tirent des présens d'eux et de nous. La Religion de ces Abénaquis domiciliés lurs frères, les retiendra de notre costé.
Les Sauvages Micmacs fréquentent moins les Anglois.
Les Iroquois des cinq Nations peuvent estre à présent au nombre de 5 à 600; ils passent pour estre plus attachés aux Anglois qu'à nous : cependant leur interest demande qu'ils soient neutres, et ils prendroient vraisemblablement ce parti s'il survenoit une rupture.
Les Mississaguez sont établis dans trois ou quatre petits Villages au nord du Lac Ontario, et ne sont pas plus de 50 hommes.
Il y a trois Villages sauvages au Détroit : un des Hurons de 250 hommes; un des PoutéSatamis de 150 hommes; un d'OutaSacs de 140 hommes.
A douze lieues audessus du Lac Ste. Claire, est un Village de Sauteurs de 150 hommes. A Mischilimakinac, un Village d'Outa8acks de 200 hommes, et à douze lieues plus haut est un Village de Sauteurs de 100 hommes.
Les Saquis sont encore 150 hommes; la plupart se sont rendus l'Esté (dernière) à la Rivière St. Joseph, et se sont séparés des M Renards ; ils demandent la paix.
Les Folles-Avoines sont encore 150 hommes; il reste encore 60 à 80 Renards.
Tous ces Sauvages sont les plus renommés- pour la guerre ; à l'exception des Saquis et des Renards, ils paraissent attachés aux François. On présume qu'ils persévéreront dans les mêmes sentimens. On ne craint cependant point de dire que les Sauvages, si on n'en excepte quelques-uns, n'aiment ny les François ny les Anglois ils sçavent que les uns et les autres ont besoin d'eux, et il est naturel qu'ils pensent que c'est l'intérest seul du commerce qui nous les fait rechercher ; les démarches que nous taisons incessamment pour nous les attirer ne doivent pas leur laisser de doute la-dessus ; mais comme les Anglois tiennent a leur égard la même conduitte, et que même ils nous surpassent dans les caresses et les présens qu'ils leur font, il est à craindre que ces Sauvages ne se détachent absolument de nous. Il pourroit paroistre nécessaire dans les circonstances présentes de leur faire des présens plus distingués, ou de s'en faire craindre et plus respecter que l'on n'a fait par le passe, à quoi l'on parviendrait en établissant le Détroit, et en fortifiant par des garnisons les postes où il y a des François établis.
Voici une Relation abrégée du meurtre de 21 Voyageurs, arrivé au Lac des Bois, au mois de Juin dernier.
Le caractère et les moeurs des Sauvages sont connus. Les Missionnaires travaillent avec bien peu de succès à leur conversion à la Religion; ils ont un éloignement infini pour tout culte, sans cependant qu'ils le fassent connoître. Il suffit de dire qu'ils aiment passionnément leur liberté en tout genre, et qu'ils sont ennemis de toute contrainte.
Toutes les nations parlent des langues différentes ; mais elles dérivent toutes des langues huronne et algonkine.
Les négociants de la Colonie, particulièrement ceux de Montréal, équippent au printemps, et dans le cours de l'Esté, des Canots (ce sont des Canots d'écorce qui portent jusqu'à 6000 livres) pour porter chez les Sauvages des pais d'en haut les marchandises qui leur conviennent ; ces canots rapportent des castors et autres pelleteries.
Il y a ordinairement un officier qui commande dans chaque poste, et qui y est regardé par les Sauvages comme leur père, auquel ils s'adressent pour demander conseil dans les affaires &ca. Cet officier réussira à les gouverner lorsqu'il sera homme d'esprit et désintéressé.
Les Canots montent avec des Congés de M. le Général visez de l'Intendant; les équippeurs payent pour ces congés 500 francs, qui sont destinez, partie pour subvenir aux dépenses de l'enceinte de Montréal, et le restant est distribué, par le Général du pais aux pauvres familles; il rend compte de cette distribution. L’arrangement qui se pratique quelquefois, et qui est préférable, c'est que le commerce de chaque poste soit affermé à des négocians qui payent le prix de la ferme à proportion des canots qu'ils peuvent faire monter, et qui s'engagent en outre, par le bail, à payer à l'Officier commandant une somme pour le dédommager des dépenses qu'il doit faire, et même lui tenir lieu de gratification en considération des peines qu'il prend, et du séjour qu'il fait dans des lieux aussi désagréables que le sont les pais d'en haut. Cet arrangement est plus convenable à un officier, que d'exploiter comme un marchand le poste où il commande; il s'attirera mieux l'amitié et le respect des Sauvages par cela seul, que le vil interest ne s'y trouvera point.
Le Commerce des pais d'en haut n'est pas favorable depuis les troubles qui y sont survenus ; les Sauvages n'ont point chassé depuis la guerre, ou si quelques-uns ont chassé depuis la guerre, ils se servent du même prétexte de la guerre pour ne point payer leurs dettes, et portent leurs pellteries à Choueguen.
A l'égard du Commerce qui se fait avec les Sauvages dans l'estendue du domaine de Tadoussac, il a esté rendu compte du produit jusques et compris l'année 1735. Comme il pourra convenir d'affermer cette partie du domaine, on a reçu les offres des Cugnet, et il en doit estre fait par les Lanoullier, sur lesquelles et sur le veu des pièces justificatives de la recette et dépense des traites de Tadoussac, qui sont ci-joint[4], on sera en estât de prendre un parti.
Depuis quelques années il s'est établi des Coureurs de bois, principalement du coste de
Sauvages; et font non-seulement le commerce étranger, mais prennent des impressions chez les Anglois très-pernicieuses a la Colonie.
L 'authorité ne peut, quant à présent, apporter d'autre remède à ce désordre qu'en accordant à ces Coureurs de bois une amnistie, ainsi qu'il s'est pratiqué cy-devant ; il y a apparence qu'ils en profiteront tous ; mais pour éviter de tomber en pareil cas par la suitte, il est de conséquence de ne laisser monter dans les païs d'en haut, que les voyageurs sur la fidélité et la bonne conduitte desquels on pourra raisonnablement compter: cela demande d'estre suivi.
On a eu avis de l'armement qui se fait contre les Chicaskas, lequel doit partir au printemps prochain. Les Sauvages du continent du Canada pourroient être invités de se joindre aux forces de la Louisiane ; pour cet effet, ils pourroient se rendre au mois d'Octobre, au plus tard, aux Illinois, où ils attendraient les ordres du Gouverneur de la Louisiane pour leur marche, et pour se trouver au rendez-vous ; mais pour cela il paroist nécessaire, que les ordres soient envoyez incessamment en Canada, par la voie de l'isle Royale, et de recommander de la diligence dans l'exécution, en envoyant, sur le champ, faire part de ces ordres aux Commandans du Détroit, et des postes qui sont sur le chemin des Illinois. Ces Commandans pourroient faire marcher les Sauvages avec quelques officiers, soldats et voyageurs ; ils trouveront chez les Illinois de quoy vivre. Il conviendrait aussy de donner avis à la Louisiane,
dès à présent, des ordres qui seront envoyés en Canada, si on en donne quelques-uns.
Toute l'éducation que reçoivent la plupart des enfans d'officiers et des gentilshommes se borne à très-peu de chose ; à peine sçavent-ils lire et écrire ; ils ignorent les premiers élémens de la géographie, de l'histoire ; il seroit bien à désirer qu'ils fussent plus instruits. Le Professeur d'Hydrographie à Québec est si occupé de sa charge de Principal de Collège, même des fonctions de Missionnaire, qu'il ne peut vaquer autant qu'il est nécessaire à sa charge, de Professeur.
A Montréal, la jeunesse est privée de toute éducation; les enfans vont à des Ecoles publiques qui sont établies au Séminaire de St. Sulpice et chez les Frères Charrons, où ils apprennent les premiers élémens de la Grammaire seulement. Des jeunes gens qui n'ont d'autres secours, ne peuvent jamais devenir des hommes utiles. On estime que si, dans chacune des villes de Québec et Montréal, Sa Majesté vouloit bien entretenir un Maître qui enseignât la Géométrie, les Fortifications, la Géographie aux cadets qui sont dans lés troupes, et que ces cadets fussent tenus d'estre assidus aux leçons qui leur seroient données, cela formeroit par la suitte des sujets capables de rendre de bons services. Les Canadiens ont communement de l'esprit, et on croit que l'Establissement proposé auroit le succès qu’on en peut espérer.
Il a esté rendu compte en l'année 1735 des Cures du Canada, et des motifs pour les fixer.
Les dépesches, écrites en 1733, au sujet des Impositions nouvelles à établir, pour rendre les peuples plus laborieux, plus industrieux, et pour subvenir en même temps aux dépenses que le Roy veut bien faire pour soutenir la Colonie, ont traité au long cette matière.
[1] En 1736
[2] Aucun de ces documens ne se trouvent accompagner la copie du manuscrit
[3] Ce mémoire n'accompagne pas la copie du manuscrit.
[4] Ces pièces n'accompagnent pas le manuscrit.
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