On the History of Literature
By James MacPherson LeMoine
[Originally published by the Literary and Historical Society of Quebec in Transactions, New Series, No. 4 (1866)]
Monsieur le Président,
Invité à faire, ce soir, sans avoir eu le temps de m'y préparer convenablement, les frais d'une Causerie Littéraire, j'ai cru pouvoir faciliter ma tache en choisissant un sujet qui va droit au cœur de la majorité de ceux qui m'entourent. Jetant un coup d'œil sur le passé, je suis allé remuer les souvenirs littéraires qui nous sont communs à nous tous, membres de cette société. Je suis entré dans le champ des lettres y glaner quelques épis dorés ; puis, pour me servir d'une figure dans le goût de notre collègue, M. Anderson, notre infatigable botaniste, je suis allé herboriser parmi les mousses et les fougères de l'Hélicon, pour y ramasser quelques modestes fleurs des bois, mais des plus aromatiques: fleurs et épis, j'ai beaucoup de plaisir à vous en tresser une guirlande et à la déposer à vos pieds.
C'est l'éloge des lettres que j'ai à vous présenter. En faire l'histoire, n'est-ce pas en faire l'éloge? Le mandat est attrayant: pour moi, c'est un travail d'amour, car, avec plusieurs de ceux dont la présence m'honore ce soir, n'ai-je pas, pour employer un mot pittoresque de Montaigne, "côtoyé les routes gazonnées et doux fleurantes," de la science dans le vieux Lycée à deux pas d'ici, que son illustre fondateur, l'évêque de Petrée, aurait bien de la peine à reconnaître, s'il lui était donné de revisiter ces lieux, tant il s'est agrandi;—l'arbuste de 1663 est maintenant un chêne majestueux, portant fruits, plein de sève, et dont l'ombrage attend des générations à naître.
Oui, M. le président, les lettres ont obtenu le culte, ont conquis les hommages de toutes les nations : c'est leur patrimoine, leur gloire, leur propriété inaliénable. Remontez la chaîne des temps : à chaque pas, vous les trouvez les amies de l'humanité ; partout des autels à Minerve, bienfaisante divinité descendue sur la terre, radieuse et vivace. Athènes, la savante, bâtit le Parthenon à l'entrée du Pirée, temple aussi superbe que ceux où se célébraient les mystères de Jupiter Tonnant : ainsi chez les Grecs, ces fils aines de la science, le culte des muses allait de pair avec celui du maitre des Dieux. Les Romains, souverains du monde entier, envoyaient leur jeunesse la plus illustre à Athènes leur conquête,—hommage éclatant que ces farouches conquérants rendirent aux arts pacifiques.
Si je ne craignais de vous ennuyer d'une longue nomenclature, j'évoquerais ici les noms de tous les hommes illustres qui ont puisé dans la lecture des poètes le sentiment de l'héroïsme qui a dicté leurs actions. Qui, par exemple, a jamais douté que la lecture de Plutarque ne fût propre à inspirer la fermeté dans les revers et l'amour passionné de la gloire. Quoique l'on donne aux sciences et aux arts pour symbole la branche d'olivier ; quoique l'on tienne que rien n'est plus favorable à la culture des lettres que la paix, ce serait peut-être encore une question assez curieuse à examiner, de savoir si plusieurs des fameux généraux qui ont étonné les nations du bruit de leurs armes, n'ont pas acquis cet empire autant par leur éloquence à la tribune que par leur génie militaire. A ces mots de génie et de victoire, il nous semble voir surgir devant nous les grandes ombres des Péricles, des César, des Mahomet, des Cromwell, des Napoléon. Péricles, cet éloquent capitaine, qui comptait ses victoires par ses batailles ; César, ce foudre de la puissance romaine qui combattait avec la même force qu'il écrivait, aussi fameux par ses Commentaires que par la conquête des Gaules et de la Germanie ; Mahomet, ce terrible fanatique qui armé du glaive et de la parole, bouleversa la moitié de l'univers ; Cromwell, qui en discourant du Pentateuque, des synodes et des écritures, forgeait un joug de fer à une nation jusqu'alors impatiente de tout frein ; Napoléon, ce colosse des temps modernes, qui promenait ses aigles victorieuses "des bords du Tanais au sommet du Cédar," ce' grand ravageur des nations qui distribuait des sceptres et des couronnes comme l'on donne des jouets à des enfants ; l'homme de mystère, dont un mot enflammait l'ardeur de ses braves, ces invincibles grognards de la vieille garde. Veut-on savoir ce que pensait des lettres un des plus beaux génies de l'antiquité ; eh bien ! voici comme s'exprime le père de l'éloquence latine. C'est un éloge mille fois cité et qui néanmoins a toujours eu autant d'admirateurs que d'auditeurs. De plus, pour plusieurs d'entre nous, c'est une réminiscence de collège et souvent ce ne sont pas les moins agréables. Forsan olim meminisse juvabit.
"Quand, dit il, on n'envisagerait dans ces études que le plaisir, vous n'en regarderiez pas moins, je pense, cette récréation de l'esprit comme la plus digne d'un homme et d'un citoyen. En effet, les autres amusements ne sont ni de toutes les heures, ni de tous les âges, ni de tous les lieux. Mais les lettres nourrissent la jeunesse, réjouissent les vieillards; dans la prospérité, elles nous servent d'ornement; dans l'adversité, elles nous offrent un asile et une consolation. Elles nous recréent chez nous et ne nous gênent pas au dehors. Elles passent la nuit avec nous; elles voyagent avec nous; elles nous suivent à la campagne. Et quand nous ne pourrions y atteindre, ni goûter par nous-mêmes la douceur des lettres, nous devrions encore les admirer dans les autres."
Ou bien dans l'harmonieux idiome d'André Chenier :
" Beaux arts, O de la vie aimables enchanteurs Des plus sombres ennuis, riants consolateurs Amis sûrs dans la peine et constantes maîtresses Dont l'or n'achète pas l'amour et les caresses."
Les lettres ont donc de tout temps fait les délices du genre humain. L'adversité y a puisé du soulagement; la prospérité, l'amusement; vraie fontaine de Jouvence, véritable Lethée, elles sont ces fleuves mystérieux dont l'onde en rajeunissant, en ravivant la pensée, possède en outre le don de faire perdre le souvenir de ce que la vie a souvent d'amer et de sombre. Que de grands génies aux prises avec l'infortune, ont choisi les lettres pour consolateurs et pour confidents dans la solitude de leurs pensées? Silvio Pellico, au fond du noir donjon où les autorités de Venise l'avaient relégué, crayonnait ces pages éloquentes qui l'ont immortalisé. Socrates, le Tasse, Cervantes accordèrent leur lyre au son de leurs chaines et surent en tirer des accents jusqu'alors inconnus.
Galilée, "coupable d'avoir eu trop tôt raison," Galilée, dans les fers, prouvait au monde la royauté du génie qui tôt ou tard doit triompher de toutes les combinaisons des hommes : car le génie est roi et doit régner.
" Le Nil a vu sur ces rivages De noirs habitants des déserts Insulter par leurs cris sauvages L'astre éclatant de l'univers: Cris impuissants! Fureur bizarre! Tandis que ces monstres barbares, Poussaient d'insolentes clameurs, Le dieu poursuivant sa carrière Versait des torrents de lumière Sur ses obscurs blasphémateurs."
Je n'ai que faire de vous rappeler le nom de l'auteur de ces magnifiques vers; les voix du passé vous le redisent assez.
Homère, Milton,Ossian, ces illustres aveugles mendiaient la gloire, une lyre au bras, dans les villes de l'Ionie, d'Albion—sur les sommets de Morven. Sachons gré à Apollon d'avoir souvent comblé de ses faveurs les plus signalées, ceux que le monde poursuivait de ses dédains et de ses injustes colères. La destinée de bien des poètes, nous arrache à regret un pénible aveu : l'homme a souvent par ses injustices, causé le retour de ces émanations divines,— hâté leur rentrée dans leur céleste patrie, comme si leur séjour ici bas était une censure vivante, intolérable de ses injustices. Répétons ensemble pour la millième fois, les paroles suprêmes d'un jeune barde moissonné au printemps de la vie et dont le trépas sera un stigmate ineffaçable au front du siècle qui le méconnût :—
Au banquet de la vie, infortuné convive
J'apparus un jour et je meurs.
Je meurs, et sur ma tombe où lentement j'arrive,
Nul ne viendra verser des pleurs.
Salut, champs que j'aimais et vous douce verdure
Et vous riant exil des bois!
Ciel, pavillon de l'homme, admirable nature,
Salut pour la dernière fois !
Oh ! puisse voir longtemps votre beauté sacrée,
Tant d'amis sourds à mes adieux
Qu'ils meurent pleins de jours! que leur mort soit pleurée
Qu'un ami leur ferme les yeux!
J'ai dit que les lettres servaient d'ornements, devenaient jouissance dans la prospérité : voyez-les patronées par Auguste, Charlemagne, Alfred le Grand, Louis XIV, Jacques L, le grand Frédéric, de Prusse.
En vain un homme à brillants paradoxes a-t-il prétendu que le culte des lettres et des arts n'était propre qu'à amollir, à corrompre l'esprit humain ; la gloire même de Rousseau a démenti ses théories. On sait de plus que ses convictions intimes sur ce point étaient en désaccord avec ses écrits.
Jean-Jacques allant un jour de Paris à Genève, jeta par hasard les yeux sur un papier-nouvelles qui se trouvait dans la diligence et y lut un paragraphe annonçant que l'académie mettait au concours la thèse suivante: "Les lettres ont-elles contribué à exalter ou à corrompre les peuples ?" Rousseau exprima de suite le désir de concourir : un savant qui se trouvait à ses côtés, lui demanda s'il se prononcerait en faveur des lettres ? Mais sans doute, lui dit Rousseau.—"Vous auriez tort, jeune homme, répliqua le gros bonnet. Si vous voulez vous distinguer, prenez l'autre côté de la question ; car à coup sûr, personne n'osera nier que la culture des lettrers ne soit favorable à la gloire des nations ".—Rousseau adopta l'avis, ce qui nous a valu le trop fameux discours sur les lettres que vous connaissez tous. Ce fait nous est garanti par Bernardin de Saint-Pierre. Le culte rendu aux beaux arts, et le degré de splendeur de la littérature, a de tout temps servi à déterminer le point de civilisation et la puissance des divers peuples : "La littérature est l'expression de la société." On peut donc affirmer que la gloire des nations et le culte des muses sont sœurs. Les siècles héroïques ont fait naître leur Homère, leur Pindar, comme si la crainte de descendre tout entiers dans la tombe, les engageaient à laisser un barde pour répéter l'écho de leurs hauts faits aux générations futures.
Heureux les poëtes qui avaient pour s'inspirer les exploits d'un Achille, la colère d'un Ajax, la beauté d'une Hélène, et espérons qu'il en reste encore des copies—mais mille fois plus fortunées les nations qui avaient à leur solde ces fils du génie, dont la parole ailée devait planer par-dessus tous les âges. Aucun pays ne rendit un culte plus solennel aux belles-lettres que la Grèce ; on y créa les jeux Olympiques ; on y décernait publiquement des récompenses aux vainqueurs. Ce n'étaient pas les couronnes les moins brillantes que celles réservées aux poëtes et aux orateurs. Le burin de l'histoire et les cothurnes de la tragédie, étaient non moins en honneur que le ceste d'Entelle ou la massue d'Hercule. Plus tard, Rome qui avait remporté la palme dans tous les genres de gloire, se passionna bientôt pour les lettres; l'Ionie lui avait soufflé sur l'haleine de ses zéphirs des velléités de gloire littéraire. L'art d'écrire, d'abord inculte, se perfectionna rapidement; Ovide, Horace, Tibule, Virgile, Lucain, encouragés par la considération et les récompenses qui couronnaient le mérite littéraire, tracèrent à leurs contemporains étonnés des tableaux enchanteurs des grandeurs de Rome et divinisèrent pour ainsi dire, dans leurs chants harmonieux, jusqu'aux crimes qui avaient signalé la fondation du berceau de Romulus.
C'était à qui célébrerait le plus dignement le peuple-roi. Le maître de Rome offrait au prince de ses poëtes une pièce d'or pour chaque vers de l'éloge de Marcellus. Si la poésie était digne de Virgile, le présent était digne d'Auguste. Rappellerai-je les pages éloquentes que la postérité doit à Tite-Live, Cicéron, Tacite, Sénèque, ces écrivains qui sont comme les génies-mère où la pensée humaine, selon l'expression de Sainte Beuve "se ravitaille, s'allaite depuis plusieurs siècles" Quelles esquises de mœurs dans Tite-Live! Tacite à qui les muses semblent avoir confié les rayons de l'histoire, tout en peignant les froides cruautés des maîtres du monde romain, n'a-t-il pas donné aux tyrans des leçons qui les feront trembler éternellement? A ce propos un moderne disait que nul oppresseur du genre humain ne devait voir les œuvres de Tacite dans sa bibliothèque sans frémir de terreur. Comment mieux peindre l'aigle du Forum romain que de le présenter à vos regards le jour de la découverte de la conjuration de Catilina. Que l'on se figure siégeant dans un vaste temple l'assemblée des chevaliers et des sénateurs romains, dans toute la splendeur patricienne, vêtus de leurs majestueuses toges, et assis dans leurs chaises currules, discutant le sort du monde, leur tributaire, leur conquête. Ici vous reconnaissez à sa pourpre resplendissante, un proconsul accouru du fond de la Numidie ; là, c'est le commandant des Gaules. Voyez à côté de cet illustre vétéran qui a blanchi à la tête des légions romaines, voyez le censeur de son siècle, Caton, appuyé sur le piédestal de la statue de Jupiter: plus loin, vous distinguez le petit fils de Seipion, dont le front rayonne de gloire et d'espérance, — il a déjà été trois fois consul. Un hérault vient annoncer la nouvelle d'une victoire : un autre, la défection d'une province. Tout est grave, tout est majestueux dans cet aréopage; on sent que ce sont les maitres du monde qui règlent la destinée des peuples. Bientôt les figures s'assombrissent ; on se parle à voix basse, comme si quelqu'incident inattendu fixait l'attention générale : Catilina en effet venait de prendre son siège au milieu des félicitations de Céthegus, Lentulus, Pison.
Tout à coup du sein d'un groupe de personnages consulaires s'élance aux rostres, le premier magistrat de Rome. Son front large se comprime sous l'effort de la colère ou du dédain : enfin, rompant le silence, le salut de la patrie lui arrache ces mâles accents : sa voix tonne, et les coupables, où sont-ils?
"Jusques à quand abuseras-tu de notre patience, Catilina! Combien de temps encore serons-nous le jouet de ta fureur? jusqu'où s'emportera ton audace effrénée? Quoi ! ni la garde qui veille la nuit sur le Mont Palatin, ni les forces répandues dans toute la ville, ni la consternation du peuple, ni le concours de tous les bons citoyens, ni le lieu fortifié choisi pour cette assemblée, ni les regards indignés de tous les sénateurs: rien n'a pu t'ébranler. Tu ne vois pas que tes projets sont découverts? que ta conjuration est ici environnée de témoins, enchainée de toutes parts? Penses-tu qu'aucun de nous ignore ce que tu a fait la nuit dernière et celle qui l'a précédée? dans quelle maison tu t'es rendu, quels complices tu as réunis ; quelles résolutions tu as prises? 0 temps! O moeurs! tous ces complots, le sénat les connaît, le consul les voit et Catilina vit encore! Il vit: que dis-je? Il vient au sénat ; il est admis aux conseils de la république : il choisit parmi nous et marque de l'oeil ceux qu'il veut immoler. Et nous, hommes pleins de courage, nous croyons faire assez pour la patrie, si nous évitons sa fureur et ses poignards."
Concevez la terreur de ces forcenés confrontés face à face avec leur accusateur et leur juge. Catilina, nous dit l'histoire, malgré toute son audace et sa férocité, quitta le sénat les traits altérés et murmurant contre la république et le consul les menaces les plus sinistres. L'art de la parole employé pour sauvegarder ses concitoyens du pillage et du meurtre, quel plus noble triomphe ! Les annales des lettres fourmillent de traits semblables. Le temps ne permet pas de vous entretenir bien au long des écrivains de Rome : il faut avoir vécu en intime avec les classiques latins pour se faire une idée de tout ce qu'il y a de suave et d'attrayant dans les poesies de Catulle,[1] de Tibule, d'Ovide et dans les pastorales de Virgile : les images en sont fraîches comme la rosée de l'aurore. Catulle, le poëte des amoureux : Ovide, ce mélancolique rêveur : Tibule qui soupirait des chants d'une incomparable harmonie: Virgile également heureux soit qu'il retrace les mœurs pastorales,, qu'il peint les fureurs sécrètes de l'amour non assouvi, tel que la Reine de Carthage ou qu'il embouche la trompette épique pour célébrer les fastes des Romains. Quelle mosaïque littéraire que ce groupe d'esprits choisis !
En quittant ces aigles de l'horizon romain, le tableau s'assombrit avec la décadence de sa gloire. Le génie et la gloire marchent de pair : pour les peuples, Pallas et Minerve sont la même divinité sous des noms différents. Suivez les siècles et vous apercevrez les sciences délaissées, se réfugiant sous la mitre d'un évêque ou se nourrissant de la sève du christianisme naissant. Les diverses églises de Rome, d'Antioche, d'Alexandrie, fournirent bientôt au monde des écrivains, des orateurs, des philosophes dont les écrits le disputaient à ce que la Grèce et l'Italie antiques avaient de plus parfait.
Ce n'était pas à tort que St. Jean Chrysostôme était surnommé "Bouche d'or." Ses discours, ses homélies, étincellent de beautés d'un ordre supérieur. Et qui mieux que l'évêque d'Hippone sut l'art d'émouvoir l'homme en lui dévoilant le secret de son être, lui au printemps de la vie, jeune seigneur Grec, qui après avoir épuisé avec les roués d'Athènes, la coupe des plaisirs à la mode, se désillusionna tout-à-coup et étonna ses anciens amis par la pureté de ses mœurs et par son éloquence de feu, autant qu'il les avait scandalisés par les désordres de ses premières années. C'est lui-même qui nous l'apprend dans ses Confessions.
Que dire d'un Origène, d'un Tertullien, ces puissants génies dont l'éclat à travers quinze siècles nous frappe comme les phares de la primitive église. On ne saurait nier que les œuvres des pères de l'église du troisième et du quatrième siècles ne soient des monuments d'érudition loin de mériter de la part des gens du monde l'oubli où la frivolité du jour voudrait les reléguer. Ce sont, au dire de Sainte-Beuve, "de vieux chênes dont les troncs contiennent des trésors de miel." Ceux qui désirent approfondir cette branche de l'histoire des lettres trouveront dans le grand ouvrage de M. Ampère d'amples détails. On sait que ce savant académicien visitait naguère nos bords.
Chassée peu à peu par les barbares de l'asile que la religion chrétienne lui avait donné, la littérature erra proscrite par le monde. Pauvre exilée que la guerre éloignait de ses foyers, Minerve, un voile funèbre sur le front, quittait les rives classiques de l'Italie pour remonter à sa céleste patrie, attendant des jours plus prospères pour laisser jaillir sur la pauvre humanité quelques rares rayons.
Pendant le silence des nuits, on a pu entendre de temps à autre un faible écho de la Déité. Tantôt du sein d'un cloitre, mêlées aux ardeurs célestes, s'exhalaient des étincelles d'une passion mal étreinte, c'était Héloise pleurant Abélard. . Tantôt une plainte mélodieuse se répétait sur les rivages de l'Ausonie: c'était Pétrarque, s'efforçant de toucher le cœur de Laure plus dure que les rochers de la Thrace. Heureuse insensibilité qui nous a valu de semblables trésors littéraires !
Entassés tout poudreux dans la niche d'un monastère gothique, Homère, Virgile, Horace, attendaient en silence que Guttemburg sonnât le rappel; annonçât le trépas de l'ignorance, la chûtet des ténèbres: alors devaient-ils, nouveaux Phœnix, renaître de leur cendres. Horace, n'avait pas eu tort de formuler son fameux protêt Non omnis moriar: non il devait survivre et la meilleure partie de lui-même a survécu :
" Non omnis moriar, multaque pars met Vitabit Libitinam, "
On l'a dit : "La gloire, c'est la dette de l'humanité envers le génie."
Pendant toute cette époque voisine de la conquête des Normands, la littérature était entre les mains des trouvères, des troubadours, des ménestrels et se composait de lais, de ballades, de contes, de chansons, de fabliaux plus ou moins grossiers ; les princes mêmes se faisaient un mérite de griffonner en mauvais saxon ou en Normand baroque leurs exploits ou leurs amours. Robert Courte-Heuse, duc de Normandie, enfermé dans le Château de Cardif, adressait aux vagues qui battaient le pied de sa prison, ses plaintes en vers gallois. "Richard Cœur de Lion, fut couronné comme troubadour; il avait composé en langue romane un sirvente sur sa captivité à Worms. Il y célébrait sa naissance et se prétendait fils, non d'Eléonore de Guienne, mais de la Princesse d'Antioche, trouvée en pleine mer, sur un vaisseau tout d'or, dont les cordages étaient de soie blanche."
La littérature de ces temps reculés n'était qu'un tissu de fables plus ou moins ridicules où l'invraisemblable le disputait au merveilleux; une pâture littéraire dont la chevalerie, la galanterie et la religion servaient de potage, d'entremets et de pièce de résistance.
Mais n'aurai-je pas un mot à dire en passant du moyen âge: de cette ère de chevalerie où le roi "S'honorait d'être gentilhomme avant de s'enorgueillir du titre de monarque."[2]
Qui en sera le type, le symbole? Sera-ce le jeune châtelain, avec l'or, le faucon et le cor de chasse, précédé de la harpe du troubadour et de la cithare du romancier,—et visitant les pays lointains et les cours étrangères pour se rendre chevalier parfait ? Sera-ce le généreux paladin qui fuit son castel où il menait vie noble et joyeuse et où il a laissé sa femme et ses enfants à la garde de Dieu pour aller chevauchant en Palestine, où la mort l'attend, à la tête de ses cohortes qu'il va lancer au cri de guerre "Dieu le vent!" et " Montjoie St.-Denis!" Sera-ce cette noblesse féodale qui après avoir "édifié les églises, doté les abbayes, concédé aux serfs de ses domaines des actes d'affranchissement et aux bourgs des chartes de communauté et par là enfante, le peuple qui un jour dévorera sa mère:"[3] cette noblesse dis-je, que l'on retrouve partout où la patrie est en danger, à Bouvines, à Crecy, à Poitiers, à Azincourt, au premier rang, où la mort, comme le moissonneur qui abat sa récolte, fauche sans se lasser jamais : cette noblesse qui arrose le sol du sang le plus généreux de la France? ou bien assombrissant les couleurs, vous montrerai-je comme types de la féodalité ces fiers et luxurieux barons, vampires du peuple, écrasant de leur talon de fer leur vassaux, qu'ils traitent comme une vile tourbe taillable, corvéable à merci et sans merci, ce même peuple qu'un conquérant fameux, l'élu des masses appelait "de la chair à canons," ce peuple enfin qui devait se lever dans sa force et faire main-base sur les dix huit siècles d'oppression qui pesaient sur lui. Mais, M. le président, cette digression me mène trop loin, et quelque soit le portrait que vous désiriez avoir de la féodalité, je vous assure qu'avant de condamner cette noblesse française à laquelle le Canada, notre patrie, doit tant, j'opinerai de grand cœur pour "un plus ample informé." Revenons à cette burlesque littérature du moyen âge :
"Les miracles et les mystères, remarque un écrivain célèbre, furent une partie essentielle de la littérature de tous les pays chrétiens depuis le dixième jusqu'au quatorzième siècle. Geoffroi, abbé de Saint-Alban, composa le miracle de Sainte-Catherine c'est le premier drame écrit en français dont jusqu'ici on ait connaissance. L'auteur le "fit jouer dans une église en 1110 et emprunta pour revêtir les acteurs, les chapes de l'abbaye de Saint-Alban. Le clergé encourageait ces spectacles comme un enseignement public de l'histoire du christianisme : le théâtre grec eut la même origine religieuse. Les miracles et les mystères se donnaient en plein jour, dans les églises, dans les cours dés palais de justice, aux carrefours des villes, dans les cimetières : ils étaient annoncés en chaire par le prédicateur ; souvent un abbé ou un évêque y présidait la crosse à la main. Le tout finissait quelque fois par des combats d'animaux, des joutes, des luttes, des dances et des courses. Clément VI accorda mille ans d'indulgence aux personnes pieuses qui suivraient le cours des Pièces Saintes à Chester." Ces spectacles étaient représentés pendant le carême : ils commençaient par la création et finissaient par le jugement dernier.
L'auteur du Génie du Christianisme dont ces détails sont empruntés les relate sur l'autorité de Warton, l'historien. Ces mœurs vous semblent étranges; sans doute aussi rédicules que nos us et coutumes d'aujourd'hui l'eussent semblé aux hommes du bon vieux temps. L'abbé de la Rue remarque que dans ces temps-là les dames n'étaient pas suffisamment respectées et cite une satyre faite par un abbé intitulée "Les Noces des Filles du Diable," où le beau sexe n'était pas ménagé. Les médecins, les riches, les chanoines avaient aussi leur lot dans les Litanies des Vilains, le Credo du Juif, le Pater Noster des Gourmands. Comme vous voyez, le mélange et du sacré et du profane est peu propre à vous inspirer du respect pour le bon vieux temps.
Permettez que je vous cite une des moralités (c'est le nom que portaient ces drames) des plus en renom à cette époque. Elle porte pour titre : "Condamnation du festin, à la louange de la diète et de la sobriété, pour l'avantage du corps humain," vers la fin on fait le procès aux sieurs Festin et Souper devant le Juge en chef Expérience. Voici le délit : Festin et Souper sont accusés d'avoir causé la mort à plusieurs personnes. Le juge Expérience, après avoir entendu les parties par leurs avocats sans doute, (car que deviendrait le monde sans avocats,) condamna Festin à la potence : le bourreau, c'est la Diète. Festin ayant à son côté son confesseur, commence publiquement une confession générale de toutes les énormités, de toutes les indigestions, de toutes les apoplexies, et de toutes les migraines qu'il a causées : le récit en est si affreux que le bourreau scandalisé lui met la corde au col et le pend bel et bien. Dans ces temps-là, voyez-vous, Beccaria n'avait pas encore écrit sur l'abolition de la peine de mort. Voilà pour Festin. Quant à Souper, la Cour le condamne, vu la nature de l'offense à porter du plomb dans une main pour l'empêcher de mettre trop de plats sur la table à la fois et le force à donner caution de ne jamais se trouver sur le passage du Diner : de plus, à ne se mettre en route que six heures après lui.
On trouve, comme vous voyez, un certain sel répandu dans ces pièces malgré leur incohérence ; nos ancêtres étaient donc plus spirituels que leurs détracteurs ne le prétendent : mais paix à leurs cendres : point de médisance des absents.
Je vous ferai grâce de la croupe d'écrivailleurs de cette époque. Quelques esprits supérieurs ont néanmoins laissé des traces durables de leur passage. En Angleterre, Chaucer, Froissart, Bower: en Italie, Bocace, le Dante, Pétrarque, plus tard le Tasse : en France, Ronsard, le jovial Curé de Meudon, Montaigne, Voiture présidaient à la renaissance des lettres. Leurs essais se ressentent généralement de l'enfance de l'art : la pensée humaine était encore au maillot. Il fallait les puissants génies du siècle de Louis le Grand pour déblayer les ruines du passé, et pour émanciper l'intelligence des peuples. M. le Président, je m'aperçois que j'ai déjà outrepassé les bornes que je m'étais prescrites. A une autre soirée, de vous entretenir des écrivains du grand siècle.
APPENDICE.
L'appel de M. LeMoine donna lieu à un petit tournoi littéraire où quinze jouteurs prirent part. M. P. Lemay, en tête:—
" Animula! vagula, blandula,
Hospes, comesque corporis,
Quæ nunc abibis in loca.
Pallidula, rigida, nudula,
Nec, ut soles, dabis jocos?"
" Noble compagne de mon corps,
Ame douce et mystérieuse,
Qui t'enfuis au séjour des morts,
Comme ici seras-tu joyeuse,
Ou seule avec de vains remords."
"P. LEMAY."
Un Anglais du Haut Canada:
" Douce compagne, hôtesse de mon corps,
Mon âme! délaissée et pâle et nue,
Ou vas-tu errante à perte de vue?
Dans quels séjours de tristesse et de mort?
Ton rire accoutumé, tes traits d'esprit;
Cesseront-ils, quand tu n'es plus ici?"
"W. KlRBY."
" Niagara, Haut Canada, 26 Dec, 1865."
" Ma petite âme vagabonde,
Hôte et compagne de mon corps,
Qui va partir pour l'autre monde,
Comment seras-tu chez les morts?
Avec ta gaité si constante?
Ou pâle et nue, et grelottante?"
"C. D."
"Kamouraska, Janvier, 1866."
" Toi, de mon pauvre corps hôtesse vagabonde,
Toi, sa douce compagne, aux bons, aux mauvais jours?
Mon âme, tu t'envoles vers un autre monde!
Que vas-tu devenir, en ces lointains séjours?
Seras-tu—pâle, délaissée,
Sans espoir et sans avenir,
Captive, pour toujours, d'une sombre pensée"
Ou de notre bon temps auras-tu souvenir?"
"EMANUEL BLAIN DE ST. AUBIN."
"Petite âme! compagne errante,
Aimable hôtesse de mon corps,
Ah! que deviendras-tu, toi, toujours si riante,
Dans ces lieux ténébreux, nus et glacés des morts?"
"F. G. JUNEAU."
" Ma petite âme vagabonde,
Riante, hôtesse et compagne du corps,
Qui t'en vas en l'autre monde,
Pâle, glacée et sans decors,
Tu ne lanceras pas comme c'est ton usage,
Tes traits de piquant badinage?"
"EPHREM TURCOT."
"St. Henri, 24 Janvier, 1866."
" Petite âme rêveuse, autrefois ravissante,
Hôte si bien traité, compagne de mon corps,
Iras-tu désormais dans le séjour des morts,
Pâle, rigide et nue, et froide et languissante, De tes chants si joyeux oublier les accords?"
"* * *"
" Ottawa, Janvier, 1866."
" Petite âme ! hôtesse inconstante !
Douce compagne de mon corps,
Ah ! toi qui maintenant t'envoles chez les morts,
Et pâle et nue et grelottante,
Auras-tu comme ici, cette gâité constante,
Tes traits d'esprit badin et ta verve piquante?"
"EMMA HUOT.
"Saint Roch, 1 Janvier, 1866."
" Ma petite âme ! inconstante et rêveuse,
Hôte et compagne de mon corps,
Toi qui t'en vas sur d'autres bords,
Pâle, nue et toute frileuse,
Ne seras-tu donc plus joyeuse?"
"B. R."
" Hôtesse gracieuse et compagne inconnue,
De mon corps, qu'aujourd'hui tu quittes sans souci;
Dans les lieux où tu vas, pâle tremblante et nue,
Petite âme, dis moi, seras-tu comme ici?"
"Sorel."
" Petite âme inconstante,
Mais hôtesse charmante,
Irez-vous chez les morts
Compagne de mon corps,
Pâle, froide et chagrine
Sans faire la badine?"
Autre version:
" Petite âme chérie
Hôtesse réjouie,
Compagne de mon corps
Irez-vous chez les morts,
Et pâle et froide et nue
De vos plaisirs déchue?"
"UN SEXAGENAIRE.
"Trois-Rivières."
"Au Rédacteur du Journal de Québec:
"Trois-Riviëres, 16 Janvier, 1866.
"M. le rédacteur,
"Je trouve sur votre numéro du 13 courant, les deux essais que je vous avais transmis concernant la traduction d'animula, etc., etc. Il n'est certainement pas aisé de saisir le véritable sens de ces cinq petits vers ni de le rendre en français d'une manière satisfaisante : Ca donc dû être pour moi, surtout à mon âge, une témérité de me mettre en lice et d'entreprendre cette traduction. On fait des folies à tout âge et vous entendez bien qu'à 69 ans, on en fait davantage. Mon âge doit donc me servir d'excuse, mais enfin, puisque j'ai commencé ce travail, j'ai cru devoir le continuer, sans pourtant faire de grand progrès. Cependant, en réfléchissant, j'ai cru devoir me reprendre, et comme vous devez le penser, où j'en suis, ce n'est pas la première fois que je me suis repris, ni que je l'ai été, et au risque de l'être encore, je vous transmets une traduction nouvelle que voici, et c'est le nec plus ultra de mes forces qui, comme vous allez le voir, ne sont pas de nature à faire peur à personne:—
" Petite âme coquine,
Hôtesse douce et fine
Compagne de mon corps,
Iras-tu chez les morts
Pâle, froide et gredine
Y faire la badine?"
"Eh bien, monsieur, c'est une fatalité! en achevant d'écrire ces derniers vers, voici qu'un autre sens se présente, et je crois devoir le saisir au passage. Pour le coup, ne me jugez pas trop sévèrement, quoique vous pourriez bien le faire sans indiscrétion, et je sens que je n'aurais nul droit de m'en plaindre.
" Petite âme coquine,
Hôtesse douce et fine,
Compagne de mon corps,
Allant chez d'autres bords,
Pâle, froide et gredine,
Y seras-tu badine?"
"Comme vous pouvez le voir, la différence n'est que dans le sens du dernier vers et peut avoir sa raison d'être. Au reste, il faut l'avouer, le sens de cet énigme est aussi fugitif que l'âme dont elle est l'objet; car plus on le médite, (car je crois que c'est pour nous une énigme, si toutefois elle ne l'était pas lors de sa composition,) moins on est certain d'en saisir le véritable esprit.
"Dans tous les cas, monsieur, que ma traduction soit bonne ou mauvaise, je n'entends pas d'y revenir, je n'ai donc qu'à vous remercier de votre indulgence et à demander pardon de nia témérité.
Votre, etc., "UN SEXAGENAIRE."
"Trois- Rivières."
" Ame subtile et vaporeuse
Dont le flambeau guide mes pas
Loin de ta demeure argileuse,
Ou vivras-tu comme ici-bas?"
Seconde version :
" Ame céleste et vaporeuse
Douce compagne d'ici-bas
Loin de ta demeure argiteuse,
Souffriras-tu, dis, ne riras-tu pas?"
"L. H. F."
"Pointe Levis."
Ecoutons, Byron:
" Oh ' gentle, fleeting, waiv'ring sprite,
Friend and associate of this clay !
To what unknown region borne
Wilt thou now wing this distant flight,
No more with wonted humour gay,
But pallid, cheerless, and forlorn."
Le Journal de l'Instruction Publique s'exprime comme suit:—
" Le petit tournoi littéraire provoqué par M. LeMoine, au sujet d'une épigramme de Catulle, dont nous avons parlé dans notre dernière livraison, se continue, et parmi les nombreuses tentatives qu'ont enregistrées les journaux, nous remarquons celle d'un Sexagénaire, qui a donné une tournure plus vive et plus narquoise à ses vers que tous les autres concurrents. Il n'a point fait moins de trois traductions différentes : voici la meilleure à notre avis :—
" Petite âme coquine,
Hôtesse douce et fine
Compagne de mon corps,
Iras-tu chez les morts
Pâle, froide et gredine,
Y faire la badine?"
"On nous écrit sur le même sujet ce qui suit. Notre correspondant est un Anglais qui est en état d'apprécier la literature française, comme on peut le voir à la manière dont il écrit notre langue :—
"Avez-vous remarqué ce que l'on perd en traduisant le latin; ce que l'on fait des cinq vers qu'Adrien adresse à son âme? Il est vrai que Lord Byron était bien jeune à l'époque de sa traduction; mais voyez que de fautes! Il y introduit de nouvelles idées. Où trouve-t-on dans l'original ce 'gentle wav'ring fleeting' du premier vers? Il aurait pu voir que 'hospes' n'est pas la même chose que 'friend.' Il ajoute 'unknown,' et traduit 'rigida' par 'cheerless,' 'nudula' par 'forlorn,' et perd complètement l'exquise concision et l'élégance du latin, qu'on a bien mieux conservée, dans la seconde traduction française que vous avez publiée. Seulement il me sem¬ble qu'on a eu tort d'y mettre 'chez les morts,' et d'oublier ce joli mot 'blandula.' Ne pensez-vous pas comme Horace:—
"* * * *Mediocribus esse poetis,
Non dî non homines, non conssere columnæ?"
Voici une autre traduction anglaise. Elle est de Merivale, je crois. Ne la trouvez-vous point bien supérieure?
" Soul of mine, pretty one, fleeting one,
Guest and partner of my clay,
Whither wilt thou hie away,
Palid one, rigid one, naked one,
Never to play again, never to play?"
Mais enfin, si on voulait citer quelque chose de vraiment admirable, ce serait l'ode de Pope: "The dying Christian to his soul." Vous la connaissez sans doute, car ce sont les vers les plus élevés de notre langue.
THE DYING CHRISTIAN TO HIS SOUL.
O D E
.
I
Vital spark of heavenly flame!
Quit, ah quit this mortal frame!
Trembling, hoping, lingering, flying,
Oh the pain, the bliss of dying!
Cease, fond Nature, cease thy strife,
And let me languish into life!
II
Hark! they whisper; angels say,
"Sister Spirit, come away!"
What is this absorbs me quite?
Steals my senses, shuts my sight,
Drowns my spirits, draws my breath?
Tell me, my Soul, can this be death?
Ill
The world recedes ; it disappears !
Heaven opens on my eyes! my ears
With sounds seraphic ring :
Lend, lend your wings! I mount! I fly!
O Grave! where is thy victory?
O Death ! where is thy sting?
[Note—Steele, in a letter to Pope, December 4,1712, requested the poet to "make an Ode as of a cheerful dying spirit, that is to say, the Emperor Adrian's Animula vagula, put into two or three stanzas for music." Pope sent the above: "You have it (as Cowley calls it) just warm from the brain. It came to me the first moment I waked this morning; yet, you will see it was not so absolutely inspiration, but that I had in my head not only the verses of Adrian, but the fine fragment of Sappho." He must also have recollected a piece by Flatman (a poet then so obscure as to be unknown to Pope), which contains these lines:—
" When on my sick bed I languish,
Full of sorrow, full of anguish,
Painting, groaning, speechless, dying;
Fainting, gasping, trembling, crying,
Methinks I hear some gentle spirit say,
'Be not fearful; come away!' "
Flatman had probably drawn from the same fountain, the Ode of Adrian:
" Animula vagula, blandula,
Hospes, comesque corporis,
Quae nunc abibis in loca?
Pallidula, rigida, nudula,
Nee, ut soles, dabis joca."
Thus imitated by Prior :—
" Poor little pretty, fluttering thing,
Must we no longer live together?
And dost thou prune thy trembling wing
To take thy flight thou know'st not whither?
Thy humorous vein, thy pleasing folly,
Lies all neglected, all forgot;
And, pensive, wavering, melancholy,
Thou dread'st and hop'st thou know'st not what."
[1] Je vois dans mon auditoire un de nos poëtes les plus connus; me permettra-il, à propos de Catulle de lui demander de rendre en français la gracieuse invocation d'Adrien à son âme avant de mourir?
Animula ! vagula, blandula,
Hospes, comesque corporis,
Quae nune abibis in loca.
Pallidula, rigida, nudula,
Nec, ut soles, dobis jocos?
(Le poëte interpellé y a répondu et quinze autres aussi. Voir
l'Appendice.)
[2] Chateaubriand,
[3] Eysenbach.
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