Voyage du Sieur de Roberval au Canada, 1542
De Jean-François de La Rocque de Roberval
[Publié par la Literary and Historical Society of Quebec dans Historical Documents, Series 1, Vol. 3, No. 3 (1843)]
LE VOYAGE DE JEAN FRANÇOIS DE LA ROQUE, CHEVALIER, SIEUR DE ROBERVAL, AUX PAIS DU CANADA, SAGUËNAY ET HOCHELAGA, AVEC TROIS NAVIRES ET DEUX CENS PERSONNES, TANT HOMMES QUE FEMMES ET ENFANS, COMMENCÉ EN AVRIL 1542; AUQUELS LIEUX IL EST DEMEURÉ PENDANT L'ÉTÉ DE LA MEME ANNÉ, ET TOUT L'HIVER SUIVANT.
(Traduit de Hakluyt.)
Chapitre I.
Départ du Sieur de Roberval du Port de la Rochelle, Son arrivée à la Terre-Neuve où il rencontre Jacques Quartier, lequel revenant du Canada refuse d'y retourner avec le dit Sieur de Roberval. Arrivée du dit Sieur de Roberval au lieu appelée France-Roy, où il bâtit un Fort, ainsi que divers logemens.
Le Sieur Jean François De la Roque, Chevalier, Sieur de Roberval, nommé par le Roi comme son Lieutenant ès païs du Canada, Saguenay et Hochelaga, muni de trois grands Navires qui avoient été pourvus aux dépens du Roi, et ayant sur sa flotte deux cens personnes tant hommes, que femmes, accompagné de diverses personnes de qualité, savoir : de Monsieur Saine-Terre, son Lieutenant ; l'Espinay, son Enseigne ; le Capitaine Guinecourt ; Monsieur Noire Fontaine ; Dieu Lamont ; Frotté ; La Brosse ; François de La Mire ; La Salle, et Royèze, Jean Alphonse, Xaintongeois, excellent Pilote, fit voile de la Rochelle le 16e Avril 1542. Le même jour vers les midi, nous nous trouvâmes le travers de Chef de Boys, où nous fûmes contrains de passer la nuit suivante. Le Lundi dix-septième du dit mois, nous partimes de Chef de Boys.—Le vent nous fut favorable pendant quelque tems, mais en peu de jours il devint tout à fait contraire, ce qui retarda notre route pendant longtems, car nous fumes soudainement forcés de retourner en arrière, et de chercher un abri au Havre de Belle-Isle sur la côte de Bretagne, où nous demeurâmes si longtemps, et éprouvames tant de vents contraires en chemin, que nous ne pûmes atteindre la Terre-Neuve que le septième jour, de Juin.
Le huit de ce mois, nous entrames au Havre de St. Jean, où nous trouvames dix-sept Navires de Pêcheurs. Durant notre long séjour en cet endroit, Jacques Cartier et sa Compagnie venant du Canada où il avoit été envoyé l’année d’auparavant avec cinq Navires, arriva au même Havre. –Après avoir rendu ses devoirs à notre Général, il lui dit, qu’il avoit apporté certains diamans, et une quantité de mine d’Or qu’il avoit trouvée au Païs. LE Dimanche suivant on fit l’essai de cette mine, et elle fut trouvée bonne.
De plus, il dit à notre Général qu’il n’avoit pu avec sa petite bande résister aux Sauvages, qui rodoient journellement et l’incommodoient fort, et que c’étoit là la cause qui le portoit à revenir en France. Cependant, lui et sa Compagnie louèrent fort le Païs comme étant très riche et très fertile ; mais lorsque notre Général qui avait des forces suffisantes, lui eut commandé de retourner avec lui, Quartier et ses gens remplis d’ambition, et parce qu’ils vouloient avoir toute la gloire d’avoir fait la découverte de tous ces objets, se sauvèrent secrètement de nous la nuit suivante, et sans prendre aucun congé partirent incontinent pour se rendre en Bretagne.
Nous passames la meilleure partie du mois de Juin au Hâvre de Saint Jean, tant pour nous approvisionner d’eau fraîche, dont nous eumes grand besoin durant toute la route, que pour accommoder une querelle qui s’étoit élevée entre des gens de notre Païs et quelques Portugais. Enfin, environ le dernier jour du même mois, nous primes notre départ, entrames dans la Grande Baie, passames par l’Isle de l’Ascension et arrivasmes enfin à quatre lieues à l’Ouest de l’Isle d’Orléans. En cet endroit, nous trouvames un Havre commode pour nos Navires ; nous y jettames l’ancre. Et nous nous rendimes à terre avec nos gens ; et fimes choix d’une place commode pour y fortifier, capable de commander à la Grande Rivière, et de pouvoir résister à l’attaque des ennemis. En sorte que vers la fin de Juillet, nous avions apporté à terre toutes nos provisions et autres munitions, et commençames à travailler pour nous fortifier.
Chapitre II.
Du Fort de France Roy, et de ce qui fut fait en cet endroit.
Ayant décrit le commencement, le milieu et la fin du voyage que fit M. De Roverval dans les Païs du Canada, Hochelaga, Saguenay, et autres païs dans les Contrées de l’Ouest : il navigua si avant (comme il est écrit dans d’Autres mémoires) qu’il aborda enfin au Païs susdit, accompagné de deux cents personnes, soldats, mariniers et gens du commun, avec tout ce qui était nécessaire pour une flotte. Le Général susdit, aussitôt son arrivée fit bâtir un joli Fort, proche et un peu à l’Ouest du Canda, lequel il y avait deux Corps de logis, une grosse Tour, et une autre de la longueur de quarante ou cinquante pieds, où il y avoit diverses Chambres, une Salle,, une Cuisine, des Chambres d’office, de Celliers haut et bas, et proche d’iceux il avoit un Four et des Moulins, aussi un Poêle pour y chauffer les gens, et un Puits au devant de la maison. Le Bâtiment était situé sur la Grande Rivière du Canada appelée France Prime par Monsieur De Roberval. Il y avait aussi au pied de la Montagne un autre logement, dont partie formait une Tour à deux étages, avec deux Corps de logis, où l’on gardait toutes les provisions et tout ce que nous avions apporté ; et près de cette Tour il y a une autre petite rivière. Dans ces deux endroits, tant en bas qu’en haut, furent logés les gens du commun.
Et durant le mois d’Août, et au commencement de Septembre, chacun fut employé à la besogne qu’il se trouvait capable de faire ; mais le quatorze de Septembre notre Général susdit, renvoya en France deux Navires qui avoient apportés ses effets, et il nomma à l’un d’iceux pour Amiral, Monsieur Saine Terre, et à l’autre pour Capitaine, Monsieur Guinecourt, afin de donner avis au Roi, et de revenir l’année suivante avec des victuailles et autres fournitures, ainsi qu’il plairait au Roi : et aussi afin d’apporter des nouvelles de France pour savoir comment le Roi avait accepté certaines pierres qui lui avaient été envoyées, et que l’on avait trouvé dans ce païs.
Après le départ de ces deux Navires, on délibéra sur ce qu’il falloit faire, et de la manière qu’on passeroit l’hiver dans cet endroit. On fit premièrement l’examen des provisions, et l’on trouva qu’elles seroient insuffisantes. On en fit le partage, de manière que chaque troupe n’avoit que deux pains pesant chacun une livre, et une demie livre de bœuf. L’on mangeait du Lard au diner, avec une demie livre de beurre : et du Bœuf au souper, avec environ deux poignées de fèves, sans beurre.
Les Mercredis, Vendredis et Samedis, on mangeoit de la Morue séchée, et quelques fois verte du dîner, avec du beurre; et du Marsouin et des fèves au souper.
Vers ce tems les sauvages nous apportèrent une grande quantité d'Aloses, qui sont des poissons presques aussi rouges que des Saumons, pour avoir de nous des couteaux et autres bagatelles. A la fin, plusieurs de nos gens tombèrent malades d'une certaine maladie dans les jambes, les reins et l'estomac, de telle sorte qu'ils paroissoient avoir perdu l'usage de tous leurs membres, et il en mourut environ cinquante.
Il est à remarquer que la glace commença à se fondre en Avril.
Monsieur Roberval faisoit bonne justice, et punissoit chacun selon son offense. Un nommé Michel Gaillon fut pendu pour cause de vol; Jean de Nantes fut mis aux fers, et enfermé au cachot pour sa faute, et d'autres furent pareillement mis aux fers; et plusieurs furent fouettés, tant hommes que femmes : au moyen de quoi, ils vécurent en paix et tranquillité.
Chapitre III.
Des manières des Sauvages.
Pour vous déclarer quelle est la condition des Sauvages, il faut dire à ce sujet: Que ces peuples sont de bonne stature et bien proportionnés. Ils sont blancs, mais vont tout nuds ; et s'ils étaient vêtus à la façon de nos françois, ils seroient aussi blancs, et auroient aussi bon air; mais ils se peignent de diverses couleurs, à cause de la chaleur et de l'ardeur du Soleil.
Au lieu de vêtements, ils s'accoutrent de peaux en manière de manteaux, tant les hommes que les femmes. Ils se servent d'une certaine couverture avec laquelle ils cachent leurs parties honteuses, et ce, les hommes aussi bien que les femmes. Ils ont des bas de chausses, et des souliers de cuir proprement façonnés. Ils ne se portent point de chemises, et ne se couvrent point la tête, mais leurs cheveux sont relevés au haut de la tête, et tortillés ou tressés. Pour ce qui est de leurs vivres, ils se nourrissent de bonnes viandes, toutefois sans aucune saveur de sel ; mais ils la font sécher et ensuite griller sur les charbons, et ce, tant le poisson que la chair.
Ils n'ont aucune demeure arrêtée, mais vont d'un lieu en un autre où ils croient qu'ils pourront mieux trouver leur nourriture, comme Aloses dans un endroit, et ailleurs différens Poissons,tels que Saumons, Esturgeons, Mulets, Surmulets, Bars, Carpes, Anguilles, Pimperneaux et autres poissons d'eau douce. Ils se nourrissent aussi de Cerfs, Sangliers, Boeufs sauvages, Porc-Epics et de nombre d'autres sauvagines. Le Gibier s'y trouve en aussi grande abondance qu'ils peuvent désirer. Pour ce qui est de leur pain, ils le font d'une bonne saveur, avec de gros mil. Ils se nourrissent bien, car pour autre chose, ils n'ont aucun souci. Leur breuvage est l'huile de Loup-marin ; néanmoins, ils la réservent pour leurs grands festins. Ils ont un Roy dans chaque Païs, auquel ils sont merveilleusement soumis, et ils lui font honneur d'après leurs manières et façons. Lorsqu'ils voyagent d'un lieu à un autre, ils emportent dans leurs canots tout ce qu'ils possèdent. Les Femmes nourissent leurs enfans à la mamelle, et son continuellement accroupies et enveloppées par le corps avec des fourrures.
Chapitre IV.
Le voyage que fit le Sieur de Roberval, de son Fort en Canada, au Saguenay, le 5e. de Juin, 1543.
Le Sieur de Roberval, Lieutenant Général pour le Roy dans les Païs du Canada, Saguenay et Hochelaga, prit son départ pour aller à la dite Province de Saguenay Mardi le 5e Juin 1543, après souper, et s'étoit rendu à bord des Barques avec tous ses effets pour faire le voyage susdit: mais à cause de quelques circonstances qui survinrent, les dites Barques demeurèrent dans la rade vis-à-vis du lieu ci-devant nommé. Et le Mercredi vers les six heures du matin, elles firent voile naviguant contre le flot et la marée. La flotte étoit composée de huit Barques tant grandes que petites ; et il y avait à bord soixante et dix personnes, ensemble avec le dit Génàral.
Le Général laissa dans la dite place et Fort le nombre de trente personnes, lesquelles y dévoient demeurer jusqu'au retour du voyage du Saguenay, qui devait être au premier de Juillet ; passé lequel temps il leur seroit libre de retourner en France. Et il ne laissa en ce lieu que deux Barques pour y contenir les dites trente personnes, avec tout ce qui s'y trouvoit lorsqu'il faisait sa demeure dans le Païs.
Et pour ce sujet, il y laissa comme son Lieutenant, un Gentilhomme nommé le Sieur de Royère, auquel il donna sa commission; enjoignant à tous les gens de lui porter obéissance comme étant aux ordres du dit Lieutenant.
Les vivres qui avoient été laissés pour leur subsistance jusqu'au dit premier jour de Juillet, furent reçus par le dit Lieutenant de Royèse.
Le Jeudi, quatorzième de Juin, le Sieur de l'Espinay, le Sieur La Brosse, le Sieur Frotté, et le Sieur Longueval et autres revinrent de devers le Général du Voyage du Saguenay.
Et il est à remarquer, qu'il y eut une Barque de perdue, et huit personnes furent noyées: parmi lesquelles se trouvoeint le sieur Noire Fontaine, et un nommé Levasseur, de Constance.
Le Jeudi, dix-neuvième du mois de Juin susdit, arrivèrent de devers le Général, les Sieurs de Villeneuve, Talbot, et trois autres, lesquels apportèrent six-vingts livres pesant de Bled ; avec Lettres demandant qu'on demeurât jusqu'à la veille de la Ste. Magdelaine, qui est le vingt-
deuxième de Juillet…………………………………………………………………………
(La Suite de cette Relation se trouve perdue.)
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